Par Prince-Bernard Mudianji Nkashama*
Résumé
Les motions contre les gouvernements provinciaux sont devenues un fléau inquiétant en République Démocratique du Congo. Elles sont souvent initiées et adoptées irrégulièrement, occasionnant ainsi la violation des droits constitutionnellement garantis, en l’occurrence les droits de la défense. Cette situation récurrente déstabilise les institutions provinciales. La Cour constitutionnelle saisie pour inconstitutionnalité de ces actes d’Assemblées, intervient, pour la plupart des cas examinés, en les annulant, et réhabilitant, par voie de conséquence, les autorités déchues, comme le démontre sa jurisprudence en la matière.
Mots-clés : motion, Assemblée provinciale, Cour constitutionnelle, Gouvernement provincial.
Abstract
Motions against provincial governments have become a worrying scourage in the Democratic Republic of Congo. They are often initiated and adopted irregulary, thus causing the violation of constitutionally guaranteed rights, in this case the rights of the defense. This recurring situation destabilizes provincial institutions. The constitutional Court, seized of unconstitutionality of these acts of assemblies, intervenes by annuling them, and consequently rehabilitating the deposed authorities, as demonstrated by its jurisprudence in the matter.
Keywords : motion, Provincial Assembly, Constitutional Court, Government pronvicial.
Introduction
L’article 197, alinéa 1er de la Constitution de la République Démocratique du Congo reconnaît notamment aux Assemblées provinciales un pouvoir de contrôle sur le Gouvernement provincial. Si les modalités de ce contrôle sont précisées dans la loi sur la libre administration des provinces et complétées par les règlements intérieurs de ces organes délibérants provinciaux, l’insatisfaction des initiateurs dudit contrôle peut justifier le vote d’une motion de censure ou de défiance contre le gouverneur de province ou les autres membres de son gouvernement (article 198 alinéa 8 de la constitution). Le constituant encadre les conditions de recevabilité desdites motions en ses articles 146 alinéas 2 à 3 et 147 en prévoyant par exemple que l’initiative doit réunir un nombre suffisant des signatures avant sa soumission au vote. Celui- ci ne peut avoir lieu que 48 h après le dépôt de la motion dont l’effectivité est subordonnée à son adoption à une majorité absolue des députés constituant l’organe délibérant. Pour sa part, l’article 147 renchérit qu’aussitôt déchu, le gouverneur dispose de 24h pour déposer sa démission au Président de la République. Cette exigence est rarement respectée.
En dépit du fait que la déchéance peut s’effectuer dans l’irrespect de la Constitution, celle-ci ne prévoit pas explicitement la possibilité d’une saisine du juge constitutionnel à l’effet de censurer l’éventuelle irrégularité. C’est ainsi que la Cour constitutionnelle s’est reconnue cette compétence à travers une interprétation large de la notion d’acte législatif dans l’affaire Trésor Kapuku Ngoy en 2007(N°R CONST 51/TSR du 31 juillet 2007). Depuis lors, l’application de l’article 147 précité semble ineffective toutes les fois que la personne déchue, saisit la Cour pour lui faire constater l’inconstitutionnalité ayant entaché son éviction, quitte à obtenir par la suite, sa réhabilitation.
Ces motions sont également dirigées contre des membres des bureaux des assemblées provinciales aux fins de leur destitution. Leur recevabilité est prévue par les différents règlements intérieurs des organes délibérants au point que le contentieux constitutionnel congolais s’est étendu au contrôle de cette autre catégorie d’actes d’assemblées parlementaires provinciales. En termes de proportion, le greffe de cette Cour classe le contentieux de ces matières en deuxième place, juste après les matières électorales.
L’abondance de ce contentieux et son actualité dans les assemblées provinciales justifient l’intérêt d’une analyse sur ce qui caractérise le traitement de ces questions devant cette Cour. Celle-ci annule la majorité de ces motions, ce qui postule l’idée selon laquelle ces dernières sont rarement muries par leurs auteurs qui, d’évidence, instrumentalisent la procédure de leur initiative et adoption. Il en est ainsi lorsque la sollicitation par les autorités mises en cause d’un délai précis pour présenter leurs moyens de défense se heurte au refus des pétitionnaires, ce qui viole le principe constitutionnel relatif au respect des droits de la défense. Pire encore, certaines motions ont été annulées puisqu’elles ont été initiées par une personne n’ayant pas la qualité de député ou ré-initiées à la suite d’une assemblée plénière au cours de la même session parlementaire.
Eu égard à ce qui précède, la question qui mérite d’être posée est celle de savoir: « comment la Cour constitutionnelle exerce-t-elle sa compétence vis-à-vis des motions d’Assemblées provinciales » ? A cet effet, pour atteindre les résultats attendus, l’on fera recours à la méthode juridique précisément dans ses deux déclinaisons, à savoir : la dogmatique et la casuistique. Si la première nous aidera à interpréter les textes en vigueur, la seconde facilitera l’interprétation de la jurisprudence. La méthode doctrinale intervient également pour nous aider à analyser la doctrine qui fait autorité sur notre question d’étude.
En ce sens, cette étude est structurée de manière que le premier point apporte la lumière en cernant les concepts et théories de la thématique (I), et le second questionne la face cachée des motions initiées et adoptées (II).
I. Aspects conceptuels et théoriques
Dans la présente partie, il sera question d’abord, d’étayer les différentes notions en présence afin d’avoir une compréhension commune des concepts opérationnels (A), ensuite, de relever quelques études des classiques qui ont abordé des thématiques théoriquement parallèles à celle-ci (B), enfin, de jeter un regard sur la répétition des motions d’Assemblées provinciales irrégulières (C).
A. Définition des concepts opérationnels
Afin d’appréhender harmonieusement ce thème, les concepts ci-après doivent faire l’objet d’une explication préliminaire. Il s’agit de la Cour constitutionnelle, de l’Assemblée provinciale, de la motion et du Gouvernement provincial.
- La Cour constitutionnelle
Selon le modèle défini par Kelsen, la justice constitutionnelle suppose l’existence d’une juridiction distincte du système judiciaire ordinaire, caractérisée par une composition et des procédures différentes et habilitée à s’assurer de la constitutionnalité des normes adoptées par le parlement pour, le cas échéant, annuler celles d’entre elles qui ne seraient pas conformes à la Constitution. La création d’une juridiction dotée du pouvoir d’annuler des lois inconstitutionnelles permet ainsi de préserver le principe de la subordination de tous les pouvoirs à la loi, tout en garantissant la conformité de la loi à la Constitution.1
1 Antonio La Pergola, « Le rôle de la Cour constitutionnelle dans la consolidation d’un Etat de droit », in Science and technic of democracy, n°10, Bucarest, pp.21-22
La Cour constitutionnelle désigne une juridiction chargée du respect de la Constitution, qui contrôle particulièrement la constitutionnalité des lois et veille au respect des droits fondamentaux.2
Les Cours constitutionnelles sont des juridictions créées pour connaitre spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel et situées hors de l’appareil juridictionnel ordinaire, et indépendant de celui-ci comme pouvoirs publics.3
- Assemblée provinciale
L’Assemblée provinciale est l’organe délibérant de la province. Elle délibère dans le domaine des compétences réservées à la province et contrôle le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux et locaux. Elle légifère par voie d’édit.
Ses membres sont appelés députés provinciaux. Ils sont élus au suffrage universel direct et
secret ou cooptés pour un mandat de cinq ans renouvelable.4
- Motion
Une motion est un Acte d’une assemblée dont l’objet concerne le déroulement de la procédure (motion de renvoi en commission) ou s’adresse à un destinataire extérieur (motion de censure). Les motions se distinguent des résolutions en ce qu’elles sont directement soumises au vote sans faire préalablement l’objet d’une proposition renvoyée en commission et rapportée.5
- Le Gouvernement provincial
Le Gouvernement provincial est composé d’un Gouverneur, d’un Vice-gouverneur et des ministres provinciaux. Le Gouverneur et le Vice-gouverneur sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois par les députés provinciaux au sein ou en dehors de l’Assemblée provinciale. Ils sont investis par ordonnance du Président de la République. Les ministres provinciaux sont désignés par le Gouverneur au sein ou en dehors de l’Assemblée provinciale. La composition du Gouvernement provincial tient compte de la représentativité provinciale. Le nombre de ministres provinciaux ne peut dépasser dix.6
B. Aspect théorique de l’étude
Précisons qu’un thème sur « la problématique autour des motions des Assemblées provinciales devant la Cour constitutionnelle : Défis et perspectives » n’est pas nouveau. Il convient d’extraire le contenu de quelques œuvres des multiples études pour pouvoir démontrer la particularité innovante de la présente étude.
Ainsi, dans sa thèse traitant « du contentieux constitutionnel en RDC : contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnel », le Professeur Dieudonné Kaluba Dibwa fait une analyse des fondements théoriques et des modalités pratiques de l’exercice de la justice venant à la suite de la question théorique du constitutionnalisme. En effet, de manière pragmatique, il s’est agi tout au long de son travail de voir ce qui est fondamentalement congolais dans le contentieux tel qu’il est organisé par le droit positif.7
- S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques, 23ème éd, Dalloz, 2015, p.299
- M. Villiers et A. Divellec, Dictionnaire du Droit constitutionnel, Sirey éditions, 7ème édition, Dalloz, 2009, p.99
- Article 197 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011 portant modification des certaines dispositions de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, n°spécial, 52ème année
- Pierre Avril et Jean Gicquel, Lexique de Droit constitutionnel, 4ème éd, PUF, Paris, p.97
- Article 198 de la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée
- Dieudonné Kaluba Dibwa. 2009. Du contentieux constitutionnel en RDC : contribution à l’étude des fondements et des modalités d’exercice de la justice constitutionnelle, Thèse de Doctorat, Université de Kinshasa, p.474
De son côté, le Professeur Balingene Kahombo, dans son article portant sur « L’originalité de la Cour constitutionnelle congolaise : son organisation et ses compétences », démontre qu’il existe désormais une actio popularis directement recevable devant la Cour constitutionnelle. Ceci conforte la protection des droits fondamentaux dans un pays post-conflit, en quête de l’État de droit.8
Abordant la question relative au régime politique des provinces et instabilité des gouvernements provinciaux, Nsolotshi Malangu soutient que la solution efficace peut provenir de la réforme de la procédure de vote de motions de censure et de défiance en conditionnant les effets de ce vote à une ordonnance de destitution prise par le Président de la République dans un bref délai, faute de quoi, le vote doit être de nul effet.9
En somme, la revue littéraire ci-dessus dévoile que la problématique autour des motions d’Assemblées provinciales devant la Cour constitutionnelle est transversale. En effet, l’analyse des questions soulevées par la jurisprudence de la Haute Cour caractérise l’originalité de la présente étude.
C. La récurrence des motions irrégulièrement initiées et de celles irrégulièrement
adoptées
Partant d’un constat généralement fait sur la répétition des motions ne respectant aucune condition de fond et de forme, il serait pertinent d’aborder le point relatif aux moyens de contrôle de l’organe délibérant de la province sur l’exécutif provincial avant d’aborder celui concernant le processus d’initiative et d’adoption d’une motion contre le gouvernement provincial ou ses membres afin de mieux cerner les irrégularités qui s’en observent à travers un panorama illustratif.
- Les moyens de contrôle de l’Assemblée provinciale sur le Gouvernement provincial
Fortes de leur légitimité élective, les Assemblées entendent incarner seules la nation. Elles revendiquent ainsi à la fois un pouvoir de direction et de contrôle.10 Ce pouvoir peut être défini, au sens juridique, comme un ensemble des missions visant à exercer une influence sur l’action du Gouvernement.11
À cet effet, le contrôle parlementaire consiste en un ensemble des procédés et moyens légaux reconnus aux parlementaires afin d’analyser, surveiller, discuter et vérifier l’activité gouvernementale, dans le but de se rassurer que celle-ci est efficace, efficiente et adaptée aux desiderata de la population. L’objectif dudit contrôle est de promouvoir l’efficacité et l’efficience dans la gestion des affaires publiques, de réunir des éléments déterminants susceptibles d’entrainer des sanctions éventuelles.
Ce contrôle vise également à prévenir ou contenir tout excès de la part du pouvoir exécutif. Il permet de garantir la démocratie et l’équilibre des pouvoirs. C’est ainsi qu’à travers ce contrôle, l’Assemblée vérifie l’accomplissement de la Constitution et des lois de la République, vérifie leur ajustement au programme de la majorité parlementaire, amène le Gouvernement à rectifier ses orientations si une déviation est constatée.
- Balingene Kahombo. 2014, « L’originalité de la Cour constitutionnelle congolaise : son organisation et ses compétences »,
KAS African Law Study Library, vol.1, 2014, pp.24-25
- Nsolotshi Malangu, Régime politique des provinces et instabilité des gouvernements provinciaux : faut-il supprimer les Assemblées provinciales ou reformer leur pouvoir de vote de motion de censure ou de défiance ? https://www. jurisconsultes-rdc.net
- Louis Favoreu, Patrick Gaïa, Richard Ghevontian, Jean Louis Mestre et Ali, Droit constitutionnel, 21ème édition, Dalloz, Paris, 2019, p.326
- Rym Fassi-Fihri, « Pour une classification des missions de contrôle gouvernemental du parlement », RFDC, n°117, 2019, p.75.
Cependant, l’activité de contrôle ne se limite pas seulement à ces trois aspects. Elle implique une perspective d’influence sur l’activité gouvernementale, car il ne s’agit pas d’une simple activité de vérification, mais des critiques passibles des sanctions politiques.12
La réalisation ou l’efficacité du contrôle parlementaire sur l’action du Gouvernement est l’essence même de la démocratie parlementaire. Ce contrôle sur le Gouvernement comporte un droit à l’information indispensable, non seulement pour le travail législatif en l’occurrence dans le domaine de l’élaboration du budget, mais aussi pour l’utilisation de la modalité du contrôle la plus absolue : la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement.13
En conséquence, parmi tant d’autres moyens de contrôles de de l’Assemblée provinciale sur le Gouvernement, on peut retenir l’interpellation et la commission d’enquête.
L’interpellation, c’est une mise en demeure adressée au Gouvernement, l’invitant à s’expliquer sur l’exercice de son autorité. Elle est liée au dépôt d’une motion de censure et met donc nécessairement et explicitement en cause la responsabilité du Gouvernement.14 Elle est l’instrument essentiel du contrôle parlementaire. Au fond, elle n’est pas différente de la question car, comme elle, c’est une procédure par laquelle un parlementaire demande au Gouvernement d’expliquer sa conduite. Seulement, dans sa forme et dans ses résultats, elle est beaucoup plus importante que la question.15
Elle ouvre un débat en séance publique au cours de laquelle les parlementaires demandent des explications au membre du Gouvernement sur un aspect important de la politique ou de l’action gouvernementale. D’abord, le Gouvernement est obligé de répondre. Ensuite, l’interpellation donne lieu à des débats auxquels tous les parlementaires peuvent participer, l’interpellateur lui-même bénéficiant droit de parler plus longtemps que les députés qui interviennent seulement dans les discussions.
Enfin, l’interpellation se termine par un vote par lequel l’Assemblée précise son attitude à
l’égard du Gouvernement ou de son membre concerné.16
- La responsabilité du Gouvernement provincial devant l’Assemblée provinciale : Modalités d’initiative et d’adoption d’une motion
L’article 146 de la Constitution prévoit deux procédures qui correspondent à des hypothèses
différentes :
- le Gouvernement engage sa responsabilité;
- les députés prennent l’initiative de censurer le Gouvernement (motion de censure ordinaire) ou
d’un membre du Gouvernement (motion de défiance).
- les députés prennent l’initiative de censurer le Gouvernement (motion de censure ordinaire) ou
Si le Gouvernement est évincé, les conséquences qui en résultent sont les mêmes, quelle qu’ait été la procédure utilisée.
La mise en jeu de la responsabilité à l’initiative du Gouvernement sur des orientations de politique générale
Cette procédure est la plus originale. L’initiative appartient au Gouvernement. D’après l’article 41 alinéa 1er de la loi sur la libre administration des provinces : « Le Gouverneur de province peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement sur son programme, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote d’un texte ».
- Kayamba Tshitshi Ndouba, Agonie et fin de la Première République du Congo-Kinshasa, L’Harmattan, Paris, 2018, p.101
- Félix Vunduawe Te Pemako, Traité de droit administratif, édition Afrique, Larcier, Kinshasa, 2007, p.707.
- Pierre Avril et Jacques Gicquel, op.cit., p.77
- Francis Harmon et Michel Troper, op.cit., p.357
- Francis Harmon et Michel Troper, op.cit., p.357
On se bornera à rappeler ici que, bien qu’il y ait eu de vives controverses à ce sujet, il paraît aujourd’hui acquis que cette option est toujours facultative pour le Gouverneur de province. Celui-ci peut en faire application soit tout de suite après la formation du Gouvernement (engagement de responsabilité sur un programme), soit plus tard (engagement de responsabilité sur une déclaration de politique générale). Mais, il peut également s’en abstenir. En pratique, ses choix sont évidemment influencés par la composition politique de l’Assemblée : si son gouvernement ne dispose pas du soutien de la majorité absolue des députés, il vaut mieux éviter cette procédure qui l’exposerait au risque d’être renversé par un vote à la majorité relative.
Si une motion de censure est déposée, deux hypothèses se présentent : ou bien la motion de censure est adoptée et, dans ce cas, le Gouvernement est renversé et son projet passe à la trappe, ou bien elle est rejetée et, dans ce cas, non seulement le Gouvernement se maintient, mais son projet est également considéré comme adopté alors qu’il n’a pas été voté, ni même discuté.
La motion de censure et motion de défiance
A la différence de la précédente, l’article 41 alinéas 2 de la loi précitée17 organise une procédure permettant aux députés de prendre eux-mêmes l’initiative de mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement ou d’un membre de celui-ci. Mais elle est encadrée par un ensemble de conditions restrictives, inspirées par un souci de rationalisation du parlementarisme et tendant à limiter les risques qu’elle pourrait présenter pour un gouvernement qui ne serait pas appuyé par une large majorité. Ces conditions concernent la recevabilité de la motion, le déroulement de la procédure et les modalités du scrutin.
- La recevabilité des motions
Elle est subordonnée à une condition. Le dépôt d’une motion de censure ou de défiance est constaté par la remise, par ses signataires, au Président de l’Assemblée provinciale d’un document intitulé « motion de censure » ou « motion de défiance ». La motion de censure contre le Gouvernement doit être signée par un quart des membres composant l’Assemblée, tandis que celle de défiance, contre un membre du Gouvernement, doit être signée par un dixième des membres composant ladite Assemblée.
- Le déroulement de la procédure
Un délai minimum de 48 heures est prévu entre le dépôt de la motion et le vote de l’Assemblée18. Ce délai est nécessaire pour donner aux députés le temps de réfléchir et pour permettre au membre du Gouvernement visé de préparer ses moyens de défense et éviter que le Gouvernement ne soit renversé par surprise.19
Le Gouvernement provincial ou le membre de celui-ci visé par la motion doit être notifié de la tenue de la séance plénière de débat et vote pour lui permettre d’exercer son droit de la défense qui est prévu aux articles 19 alinéa 3 et 61 point 5 de la Constitution.
- Article 41 alinéa 2 de la loi sur la libre administration des provinces : « L’Assemblée provinciale met en cause la responsabilité du Gouvernement provincial ou d’un membre du Gouvernement provincial par le vote d’une motion de censure ou de défiance. La motion de censure contre le Gouvernement provincial n’est recevable que si elle est signée par un quart des membres de l’Assemblée provinciale. La motion de défiance contre un membre du Gouvernement provincial n’est recevable que si elle est signée par un dixième des membres de l’Assemblée provinciale ».
- Article 146 alinéa de la Constitution et article 41 alinéa 3 de la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces
- Francis Harmon et Michel Troper, op.cit., p.358
Comme nous le verrons loin, la violation de ce droit dans plusieurs affaires ayant concerné les gouvernements provinciaux ou leurs membres a entrainé l’annulation par la Cour constitutionnelle des motions de déchéance adoptées par les Assemblées provinciales.
- Les modalités du scrutin
Le nombre des députés présents à la séance plénière de débat et vote, doit atteindre le quorum prévu pour siéger en matière de décision, conformément au Règlement intérieur de l’Assemblée et le vote interviendra après le débat.
Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure ou de défiance qui ne peut être adoptée qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée provinciale. Si la motion de censure ou de défiance est rejetée, ses signataires ne peuvent en proposer une nouvelle au cours de la même session.20
L’expression : « seuls les votes favorables à la motion de censure ou de défiance sont recensés
» qui, en apparence n’est que procédurale, a en réalité une importance décisive. En effet, les députés absents, et ceux qui ne prennent pas part au vote, ne sont pas décomptés séparément de ceux qui apportent leur soutien actif au Gouvernement. Ils sont donc présumés favorables au Gouvernement.
S’il existe une majorité relative hostile au Gouvernement, elle n’apparaîtra pas. Il ne faut évidemment pas confondre la signature et le vote. Un député est toujours libre de voter une motion de censure, même s’il n’en a pas pris l’initiative. Aucune limitation n’est prévue à cet égard.21
L’acte d’adoption de la motion (procès-verbal) doit être rédigé et signé conformément au Règlement intérieur de l’Assemblée provinciale. Celui-ci doit être signé, après amendement, par le Président et le Rapporteur.
- Panorama de la récurrence des motions irrégulières des Assemblées provinciales
Depuis 2007, plusieurs requêtes ont été initiées devant la Cour Suprême de Justice siégeant en matière constitutionnelle et plus tard devant la Cour Constitutionnelle telle que prévue par la Constitution et concrétisée à travers la loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Dans bon nombre de ces requêtes, il était demandé à la Haute Cour de contrôler la constitutionnalité des motions initiées et adoptées par certaines Assemblées provinciales contre les gouvernements provinciaux ou leurs membres. Ci-dessous, le tableau panoramique des cas enregistrés de 2007 à ce jour :
Numéro de l’affaire | Requérant/province | Objet de la requête | Suite réservée |
R.Const. 51/TSR du 31 juillet 2007 | Gouverneur Trésor KAPUKU/Kasaï Occidental | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale du Kasai Occidental | Recevable et fondée |
R.Const. 062/TSR du 26 décembre 2007 | Gouverneur Célestin CIBALONZA BYATERANA/Sud- Kivu | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu | Recevable et fondée |
- Article 146 alinéa 3 de la Constitution et l’article 41 de la loi sur la libre administration des provinces
- Francis Harmon et Michel Troper, op.cit., p.358
R.Const. 078/TSR du 04 mai 2009 | Gouverneur José MAKILA SUMANDA/Equateur | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de l’Equateur | Recevable et fondée |
R.Const. 103/TSR du 7 juin 2010 | Vice-gouverneur Pierre MASUDI MENDE/Maniema | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Maniema | Recevable et fondée |
R.Const. 152/TSR du 27 avril 2011 | Gouverneur Richard NDAMBU WOLANG/Bandundu | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Bandundu | Recevable et fondée |
R.Const. 356 du 10 mars 2017 | Gouverneur Cyprien LOMBOTO/Tshuapa | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Tshuapa | Recevable et fondée |
R.Const. 410 du 7 mars 2017 | Gouverneur Vincent MANI BOHOMO/ Sud-Ubangi | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Sud-Ubangi | Recevable et fondée |
R.Const.411/2017 du 17 mars 2017 | Gouverneur Aimé BOKUNGU BUBU/ Mongala | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Mongala | Recevable et fondée |
R.Const. 443 du 31 mai 2017 | Gouverneure jeanne INTOMBI EMBELE/ Equateur | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de l’Equateur | Recevable et fondée |
R.Const.469 du 26 mai 2017 | Gouverneur Jean- Claude KAZEMBE MUSONDA/Haut- Katanga | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Haut-Katanga | Recevable et fondée |
R.Const.1133 du 7 février 2020 | Gouverneur Jean BAMANISA SAIDI/ Ituri | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de l’Ituri | Recevable et fondée |
R.Const. 1255 du 08 janvier 2021 | Gouverneur Louis Marie WALE LUFUNGULA/ Tshopo | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Tshopo | Recevable et fondée |
R.Const.1447 du 26 décembre 2020 | Gouverneur Crispin NGBUNDU MALENG MALENGO/Mongala | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Mongala | Recevable mais non fondée |
R.Const.1400/1416 du 5 février 2021 | Gouverneur Auguy MUSAFIRI NKOLA/ Maniema | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Maniema | Recevable et fondée |
R.Const. 1543 du 18 juin 2021 | Gouverneur Dieudonné PIEME/ Kasaï | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de censure de l’Assemblée provinciale du Kasaï | Recevable et fondée |
R.Const. 1925 du 8 février 2021 | Gouverneur Théo NGWABIDJE/Haut- Katanga | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Haut-Katanga | Recevable et fondée |
R.Const.1459 du 9 avril 2021 | Gouverneur NZEGE KOLOKE/Nord- Ubangi | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale du Nord-Ubangi | Recevable et fondée |
R.Const 1964 du 3 juillet 2023 | Gouverneure Julie NGUNGWA MWAYUMA/ Tanganyika | Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance de l’Assemblée provinciale de Tanganyika | Recevable et fondée |
Nous remarquerons que dans presque tous les cas, les requêtes initiées devant la Haute Cour, sont fondées. Cela démontre pratiquement l’absence d’objectivité et de rigueur dans l’initiative et l’adoption des motions par les Assemblées provinciales.
A cet effet, nous analyserons la portée de ces irrégularités ainsi que les perspectives salvatrices
dans notre seconde partie.
I. Portée des motions des Assemblées provinciales en République Démocratique
du Congo
L’analyse de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle révèle la censure des motions d’Assemblées provinciales adoptées contre les Gouvernements provinciaux. Le grief fréquemment imputé à ces actes parlementaires reste la violation des droits de la défense. Par conséquent, sous cette partie, seront respectivement passés au crible, les cas des réhabilitations constatées des autorités jadis déchues (A), et le défis des motions d’assemblées parlementaires provinciales et les perspectives y afférentes (B).
A. La réhabilitation par la Cour constitutionnelle des autorités jadis déchues
Il sera convenable d’étudier sous cette partie : le fondement juridique de la compétence de la Cour constitutionnelle en cette matière (1) avant de faire une esquisse de sa jurisprudence quant à ce. (2)
- Fondement juridique des compétences de la Cour dans la réhabilitation des autorités déchues
Le fondement juridique des compétences de la Cour constitutionnelle repose d’une part sur l’article 150, alinéa 1er de la Constitution dont l’application s’inscrit dans l’idéal d’un État des droits. En effet, selon les prescrits de cette disposition, le pouvoir judiciaire est le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens. Cette compétence a été renforcée aux termes du droit de saisir la Haute Cour, reconnu à toute personne, par l’article 162 alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006, contre tout acte législatif ou réglementaire pris en violation de la Constitution, et cela a ouvert une voie indéniable à un contentieux abondant en matière des droits fondamentaux devant cette juridiction.
De son côté, l’article 49 de la loi organique du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle reconnait au Procureur général du parquet près cette juridiction le pouvoir de se saisir d’office, pour inconstitutionnalité des lois, des actes ayant force de loi, des édits, des Règlements Intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des Institutions d’Appui à la Démocratie ainsi que des actes règlementaires des autorités administratives lorsqu’ils portent atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ou à leurs libertés publiques.
Ainsi, dans son arrêt du 17 Octobre 2016 rendue sur base de la requête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la Haute Cour énonça qu’en tant que gardienne de la Constitution, des libertés publiques et des droits fondamentaux qui y sont consacrés, elle est appelée à s’assurer du respect par les pouvoirs publics et les citoyens de ces dispositions et à exercer un rôle de régulation de la vie politique.22
Moins d’une année plutôt, dans l’affaire Madame Olive MUNGOMBE MUSENGE contre le Sénat, la Cour s’est reconnue compétente pour connaître d’un recours introduit par un citoyen qui s’estime lésé par une décision qui viole ses droits et libertés constitutionnellement garantis, en l’occurrence, le droit d’être éligible à un mandat politique ».23
En ce qui concerne la compétence de la Cour dans la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens, l’analyse de sa jurisprudence démontre expressément qu’elle met un accent très prononcé sur les droits de la défense et les droits de recours qui sont souvent méconnus par les Assemblées provinciales dans l’éjection des gouvernements provinciaux ou de leurs membres. Nul n’ignore que les Assemblées provinciales sont régies par leurs règlements intérieurs et que ces derniers font préalablement l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 160 de la Constitution. Il doit être noté que dans tous ces règlements des Assemblées provinciales, la procédure de mise en responsabilité des gouvernements provinciaux est bien élucidée. Raison pour laquelle, la Haute Cour sanctionne toute motion adoptée dans l’irrégularité, consistant en la violation des droits de la défense et du droit de recours tels que prévus par la Constitution
Suivant l’article 61 de la Constitution, en aucun cas, et même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été proclamé conformément aux articles 85 et 86 de la Constitution, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux bien décrits. Et c’est au nom du pragmatisme que la jurisprudence constitutionnelle de la République Démocratique du Congo a relevé la sauvegarde des droits de la défense comme principe fondamental dans le contexte de responsabilité politique.24
Pour ce qui est de l’Etat des droits, il est sans oublier que « L’Etat de droit est celui dans lequel la loi est au-dessus et au service de tous ». L’une des traductions remarquables de cette définition, rapportée par Joseph Cihunda, c’est la soumission de l’Etat, de ses organes et des gouvernants, au contrôle juridictionnel 25. Ceci suppose l’existence d’un pouvoir judiciaire indépendant et accessible pour les gouvernés, capable d’affermir l’exigence de la primauté du droit dans la gouvernance de la chose publique.26
- R.Const. 338 du 17 octobre 2016
- R.Const. 0038 du 28 août 2015
- Kamuleta Badibanga, Dieudonné. 2022. Contribution de la Cour constitutionnelle à la consolidation du constitutionnalisme en République Démocratique du Congo. Discours du Président de la Cour constitutionnelle à l’occasion de l’audience solennelle et publique de la rentrée judiciaire 2022-2023, Kinshasa, 29 octobre.
- Joseph Cihunda Hengelela, « Rapports entre les autorités politiques provinciales et le pouvoir judiciaire à Kinshasa », In Librairie africaine d’études juridiques, volume 2, 2010, p.24.
- Mpongo Bokako Bautolinga, « Le rôle de l’armée dans la construction de l’Etat de droit en République démocratique du Congo », in G. Bakandeja Wa Mpungu, A. Mbata Betukumesu Mangu et R. Kiengekienge Intudi (dir.), op.cit., p.77.
À cet effet, on notera que l’œuvre jurisprudentielle de la Cour Suprême de Justice a permis de consolider, malgré la résistance de certains conservateurs, le droit d’accès direct pour tous au juge constitutionnel, un droit dont l’exercice effectif conduit, en particulier, à la juridictionnalisation de plus en plus croissante de la vie politique en RDC.27
- Esquisse de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur les motions des autorités de l’exécutif provincial déchues
Il sied de préciser que nous avons répertorié plus d’une dizaine d’arrêts de la Haute Cour rendus sur requêtes des membres des gouvernements provinciaux déchus par les Assemblées provinciales. L’analyse de ces décisions démontre que la violation des droits de la défense et du droit de recours constitue le point symétrique entre lesdites décisions.
D’où, pour éviter la monotonie, nous analyserons quatre décisions dont les unes s’accentueront sur la nature juridique d’une motion et d’autres mettront en lumière les différentes raisons évoquées par le juge constitutionnel dans ses motivations pour justifier l’annulation des motions irrégulièrement adoptées. C’est ainsi que les principaux arrêts à esquisser sont : les arrêts sous R.Const. 51/TSR du 31 juillet 2007, R.Const. 356 du 10 mars 2017, R.Const. 410
du 7 mars 2017, R.Const.411/2017 du 17 mars 2017 et R.Const.1447 du 26 décembre 2020.
Arrêt sous R.Const.51/TSR/ du 31 juillet 2007. En cause : Monsieur Trésor KAPUKU NGOY contre l’Assemblée provinciale du Kasaï occidental
La Cour Suprême de Justice énonça qu’une motion de défiance adoptée par une Assemblée
Provinciale est un acte législatif selon l’article 162 alinéa 2 de la Constitution car le vocable
« acte législatif » couvre non seulement les lois stricto sensu ou les textes ayant valeur de loi, mais également tout document ou acte émanant ou accompli dans l’exercice du pouvoir législatif à l’instar de la motion de défiance concernée. Cette décision de la Haute Cour avait lancé les débats sur la nature juridique d’une motion (de censure ou de défiance) adoptée par l’Assemblée. Ainsi, la doctrine s’y était invitée pour poser plusieurs théories afin d’aller soit dans le sens de l’affirmation de la Cour sur la nature juridique de la motion, soit pour apporter des affirmations contraires. Dans le lot des doctrinaires, on peut évoquer Joseph Kazadi Mpiana pour qui, en droit congolais, il est évident que les motions de censure ou de défiance ne peuvent pas logiquement prospérer en tant qu’actes législatifs, et de surcroît en vertu de l’article 43 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Leur justiciabilité devant la Cour constitutionnelle s’avère pourtant nécessaire pour une série de raisons. Les motions de censure et de défiance peuvent donner lieu à un blocage dans le fonctionnement des institutions politiques provinciales et la Cour, dans sa qualité d’organe régulateur du bon fonctionnement des pouvoirs publics, de leur activité et de la vie politique, est compétente pour débloquer la situation.28
Pour Botakile, les actes d’assemblée sont des actes accomplis par le pouvoir législatif dans l’exercice de sa fonction parlementaire.
- Balingene Kahombo, « La Cour Suprême de Justice faisant office de Cour constitutionnelle. Esquisse du bilan de près de cinq ans sous l’empire de la Constitution congolaise du 18 février 2006 », In Librairie africaine d’études juridiques, volume 6, 2017, p.43.
- Joseph Kazadi Mpiana, Cour constitutionnelle, motion de censure et garanties des libertés et droits fondamentaux à l’aune de l’arrêt Jean-Claude Kazembe, Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Volume 2-2017, 2018, pp.540- 541.
Il s’agit de règlements intérieurs des chambres législatives (nationales ou provinciales) et du Congrès, des avis conformes, des autorisations, des résolutions ou recommandations, des décisions d’entérinement, des mises en accusation, des décisions de déchéance du mandat parlementaire, motions de défiances et de censures, etc. Par principe, les actes d’assemblées ne peuvent pas créer des droits et obligations, auquel cas, ils échappent au contrôle de tout juge. Cependant, lorsqu’un acte d’assemblée est créateur des droits ou des obligations, puisqu’il modifie même sournoisement l’ordonnancement juridique existant, il apparaît dans le viseur du juge constitutionnel, garant de l’obligation constitutionnalisée du respect de la Constitution. Il produit, dans ce cas, des effets juridiques normalement réservés aux seuls actes législatifs et peut être censuré dans le cadre des procédures prévues pour la censure des actes législatifs. C’est à juste titre, que la jurisprudence congolaise soumet désormais les actes d’assemblées au contrôle de la Cour constitutionnelle en vertu notamment de l’article 162, alinéa 2, de la Constitution du 18 février 200629.
La Cour Suprême de Justice, CSJ en sigle, s’est ravisée dans son arrêt du 7 juin 2010 en déniant la qualité d’acte législatif à une motion de défiance avant de revenir dans ses arrêts du 22 octobre et du 26 avril 2011 sur sa position traditionnelle. Le revirement de la jurisprudence, de surcroît, en un temps très rapproché, nuit à la sécurité juridique et témoigne de la titubance du juge constitutionnel dans une question récurrente que constituent les motions de défiance au niveau des Assemblées provinciales.
Dans l’arrêt R.Const. 103/TSR du 7 juin 2010 (Requête en annulation de la Résolution de l’Assemblée provinciale du Maniema du 24 octobre 2009 portant destitution du Vice- gouverneur Pierre Masudi Mendes par motion de défiance), la CSJ motive ainsi son incompétence à invalider la résolution querellée en ces termes : « (…).
Examinant sa saisine, la Cour suprême de justice relève qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur l’inconstitutionnalité d’une motion de défiance. En effet, les compétences de la Cour suprême de justice, siégeant comme Cour constitutionnelle reposent sur les dispositions des articles 74, 76, 99, 128, 139, 145, 160, 161, 162, 163, 164, 167, 216 et 223 de la Constitution. En ces articles 160 al.1, 162 al.2 et 223, la Constitution dispose : ‘’La Cour constitutionnelle est chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi. Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire. En attendant l’installation de la Cour constitutionnelle, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, la Cour suprême de justice exerce les attributions leur dévolues par la présente Constitution ».30
L’énumération ainsi faite par le constituant exclut, d’une part, toute propension à conférer à cette juridiction une compétence générale et, d’autre part, précise la portée de sens à donner aux termes « tout acte législatif ou réglementaire ». En substance, il ne peut s’agir, conformément au principe selon lequel la compétence est d’attribution et au regard de l’énumération faite par le constituant que des lois, des actes ayant force de loi, des édits et des actes réglementaires des autorités administratives. Or, la motion de défiance, tout comme la motion de censure, bien qu’elles émanent de l’organe législatif, ne sont pas reprises dans cette énumération limitative du constituant comme acte législatif. Il s’ensuit qu’à l’état actuel du paysage législatif, la motion de défiance ou de censure échappent au contrôle du juge constitutionnel en droit congolais.31
- Botakile Batanga, Précis du contentieux administratif congolais, Tome 2, 1ère édition, Academia, L’Harmattan, Bruxelles, 2017, pp. 58-59.
- Joseph Kazadi Mpiana, Droit constitutionnel congolais, Notes de cours à l’usage des étudiants de deuxième graduat en Droit, Université Protestante de Lubumbashi, 2020-2021, p.189.
- Joseph Kazadi, Idem, p.190.
Par conséquent, la Cour suprême de justice se déclarera incompétente à examiner la requête en annulation de la résolution de l’Assemblée provinciale du Maniema du 14 octobre 2009 portant destitution du Vice-gouverneur Pierre MASUDI MENDES par motion de défiance, et l’intervention volontaire y relative ».
Il est emblématique de constater le revirement jurisprudentiel dans l’espace de quatre mois. Dans son arrêt du 22 octobre 2010, la CSJ s’était par contre déclarée compétente. Son raisonnement a été articulé dans sa position traditionnelle : « (…). Examinant sa compétence, la Cour suprême de justice relève qu’au sens de l’article 162 alinéa 2 de la Constitution, le vocable acte législatif couvre non seulement les lois stricto sensu, mais aussi les textes ayant valeur de loi, tout acte émanant de l’organe législatif à l’instar d’une résolution d’une Assemblée provinciale. Elle se déclarera dès lors compétente pour connaître des résolutions 002 et 003/APK/2010 du 10 septembre 2010 concernées »32.
Néanmoins, dans plusieurs de ses arrêts, le juge constitutionnel congolais s’est estimé compétent pour connaître d’une requête en inconstitutionnalité d’un acte d’assemblée, telle une motion de défiance, de censure ou une résolution, en ce que l’article 223 de la Constitution lui confère les attributions de la Cour constitutionnelle en attendant l’installation de celle-ci et l’article 162 alinéa 2 de la même Constitution permet à toute personne de la saisir pour inconstitutionnalité de tout acte législatif ou réglementaire. La résolution ou motion de défiance, de censure ou de déchéance adoptée par une assemblée provinciale est un acte législatif, au sens de l’article 162, alinéa 2, susvisé car le vocable « acte législatif » couvre non seulement les lois stricto sensu ou les textes ayant valeur de loi, mais également tout document ou acte émanant ou accompli dans l’exercice du pouvoir législatif notamment en violation des droits de la défense garantis à tous. En ce sens, notamment l’arrêt R.Const n° 051 du 31 juillet 2007, en cause Requête en inconstitutionnalité de la décision de l’Assemblée provinciale du Kasaï Occidental du 07 juin 2007 portant motion de défiance contre le Gouverneur de province Trésor Kapuku ; R.CONST n° 060 du 28 décembre 2007, en cause Requête en inconstitutionnalité contre la résolution du 30 mars 2007 portant déchéance d’un membre du Bureau définitif de l’Assemblée provinciale de Maniema… ; R.Const n° 062 du 26 décembre 2007, en cause Requête en inconstitutionnalité de la motion de censure de l’Assemblée provinciale du Sud Kivu du 12 novembre 2007 contre le Gouverneur de la dite province et R.CONST n° 137/ TSR du 22 octobre 2010, en cause Requête en inconstitutionnalité des résolutions de l’Assemblée provinciale de Kinshasa.33
En fin, selon Wetsh’okonda, en application du critère fonctionnel, il retient que les actes législatifs s’entendent des lois au sens strict, des ordonnances-lois, autrement appelés actes ayant force de loi ainsi que des règlements intérieurs des Chambres, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie prévues dans la Constitution, bref des actes juridiques susceptibles du contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle. En l’occurrence, ce critère nous permet de qualifier les actes législatifs en raison non seulement du fait qu’ils sont pris par le Parlement et/ou l’exécutif, dans le domaine de la loi, mais également par le fait de leur soumission au contrôle de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle.34
- Joseph Kazadi Mpiana, Ibidem., p.190
- Juricongo, Jurisprudence de la Cour Suprême de justice : Contentieux constitutionnel et législatif, Tome V, « Collection Juridoc », Juricongo, Kinshasa, 2011, pp. 51, 57, 58, et 76.
- Marcel Wetsh’okonda Koso, « Domaines de la loi et du règlement et leur protection sous l’empire de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 », In I. Mingashang (dir.), La responsabilité du juriste face aux manifestations de la crise dans la société contemporaine. Un regard croisé autour de la pratique du droit par Auguste Mampuya, Bruylant, Bruxelles 2018, pp. 791.
Les arrêts de principe sous R.Const 356 du 10 mars 2017, R.Const 411/2017 du 17 mars 2017, et R.Const 410/2017 du 17 mars 2017 consacrant la compétence de la Cour constitutionnelle dans la protection de droits fondamentaux des citoyens
Dans son arrêt sous R.Const 372/414 du 03 juillet 2017 rendu dans l’affaire PONGO DIMANDJA Charles contre les résolutions de l’Assemblée provinciale de Sankuru issues des séances des assemblées plénières du 28 au 29 octobre 2016, la Cour constitutionnelle motive sa décision d’annulation de ces résolutions en évoquant les arrêts sous R.Const 356 du 10 mars 2017, R.Const 411/2017 du 17 mars 2017, et R.Const 410/2017 du 17 mars 2017 qu’elle qualifie d’arrêts de principe. En effet, sans entrer dans une analyse des faits et des prétentions des parties en cause, nous nous limiterons essentiellement aux dispositifs de ces décisions qui, d’ailleurs sont communs à ceux-ci afin d’y faire un commentaire analytique.
Dans ces arrêts de principe, la Cour observe qu’en l’espèce, elle est saisie d’une requête en inconstitutionnalité d’une motion de défiance, laquelle n’est ni un acte législatif, ni un acte réglementaire, mais un acte d’assemblée qui ne relève pas, en principe, de sa compétence. Elle relève cependant qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution, la République Démocratique du Congo est un Etat de droit ; que suivant les articles 149 alinéa 2 et 150 alinéas 1 de la Constitution, la Cour constitutionnelle fait partie du pouvoir judiciaire, « garant des libertés et droits fondamentaux des citoyens ». Dès lors, la Cour juge qu’à ce titre, elle est compétente pour connaitre de la présente requête en vertu des articles 19 alinéas 3, 61 points 5 de la Constitution qui garantissent le droit de la défense et le droit de recours auxquels il ne peut être dérogé en tant que droits et principes fondamentaux des citoyens même lorsque l’état de siège ou l’état d’urgence aura été décrété. En effet, la Cour juge que dès lors qu’une motion de défiance ou de censure viole les droits auxquels la Constitution consacre une protection particulière, elle doit affirmer sa compétence.35
Cette position jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle est constante chaque fois qu’elle a eu à statuer dans d’autres affaires sur les cas identiques tels que nous les avons classés dans le tableau figurant dans la première partie de cette étude. Il s’agit, en effet, des arrêts qui reconnaissent, pour la première fois, la violation des droits de la défense pour censurer les actes des assemblées délibérantes, qualifiés des actes législatifs. Pour la Cour, les droits de la défense renvoient à l’ensemble des droits appartenant à une personne, qui se trouve partie à un litige ou en dehors de tout procès, qui est l’objet d’une mesure défavorable ayant le caractère d’une sanction prise en considération de sa personne. L’article 61 point 5 de la Constitution met en exergue le respect des droits de la défense au pluriel, et qu’il en existe plusieurs droits de la défense et non un seul droit de la défense. Le principe du contradictoire est l’un des corollaires du droit de la défense. Parmi les exemples des droits de la défense, il y a lieu de citer par exemple : le droit à l’assistance d’un avocat, la possibilité pour celui-ci d’être tenu au courant du déroulement de la procédure et d’être présent lors des interrogatoires,
le caractère contradictoire des débats à l’audience, le droit de poser des questions aux témoins, le droit à la liberté de parole et celui d’avoir la parole le dernier, le droit à un procès loyalement conduit36. Dans une autre veine, la Haute Cour attire notre attention à travers son arrêt sous R.Const 1543 du 18 juin 2021 ayant mis en cause le Gouverneur Dieudonné PIEME contre l’Assemblée provinciale du Kasaï.
- Cour constitutionnelle. R.Const n°359. Arrêt du 10 mars 2017. En cause : Requête en inconstitutionnalité contre la motion de défiance adoptée le 28 octobre 2016 par l’Assemblée provinciale de la Tshuapa pour violation des articles 19 alinéa et 4 de la Constitution, et 178 du Règlement intérieur de l’Assemblée provinciale de la Tshuapa. Treizième et quatorzième feuillets. Inédit.
- Cour constitutionnelle. R.Const 1133. Arrêt du 7 février 2020. En cause: Monsieur Jean Bamanisa Saidi, gouverneur de la province de l’Ituri contre l’Assemblée provinciale de l’Ituri. Quatorzième feuillet, Inédit.
En l’espèce, la Cour a arrêté qu’elle ne pouvait déclarer régulière une motion de censure initiée contre le gouvernement PIEME I mais adoptée sous le gouvernement PIEME II, car violant l’article 17, alinéa 8 de la Constitution qui veut que la responsabilité pénale soit individuelle et que nul ne puisse être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui, et l’article 14 point g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantit le droit d’une personne à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable en considérant le fait que certains membres du gouvernement PIEME II étaient signataires de la motion contre le gouvernement PIEME I avant qu’ils y soient nommés après son remaniement. Ainsi, la motion qui devait être adoptée contre le gouvernement PIEME I l’a été en leur défaveur, tournant ainsi leurs signatures contre eux-mêmes. La Cour constitutionnelle de la RDC offre une protection procédurale et substantielle à l’Etat de droit, et assure par ce fait sa mission d’outil de mesure démocratique. C’est l’idée même du gouvernement de la Constitution, sans glisser dans celui des juges.37
- Cour constitutionnelle. R.Const 1453. Arrêt du 18 juin 2021. En cause : Monsieur Dieudonné Pieme contre l’Assemblée provinciale du Kasaï. Inédit.
Conclusion
La mission du contrôle de l’exécutif provincial est l’une des prérogatives constitutionnelles reconnues aux Assemblées provinciales en République Démocratique du Congo. A travers l’exercice de cette obligation, l’exécutif provincial se retrouve face aux défis de gérer l’entité provinciale de manière efficace et efficiente. Cependant, il s’est avéré que depuis 2007, plusieurs Assemblées provinciales ont usé de leur pouvoir de mise en responsabilité des Gouvernements provinciaux, violant ainsi leurs propres règlements intérieurs alors que ces derniers ont été déclarés conformes à la Constitution par la Cour constitutionnelle.
Se fondant sur l’article 162, alinéa 2 de la Constitution, les autorités provinciales déchues ont saisi la Haute Cour à travers les requêtes en inconstitutionnalité des motions adoptées contre elles. Bien que n’étant pas compétente pour connaitre des motions qui ne sont ni des actes législatifs ni encore moins des actes réglementaires, mais qui sont des actes d’assemblées qui ne relèvent pas, en principe, de sa compétence, la Haute Cour, se fondant sur l’idéal d’un Etat de droit tel que prévu par l’article 1er de la Constitution, et suivant les articles 149 alinéa 2 et 150 alinéa 1 de la Constitution, qui font d’elle l’une des composantes du pouvoir judiciaire, « garant des libertés et droits fondamentaux des citoyens », a jugé qu’à ce titre, elle est compétente pour connaitre des requête en vertu des articles 19 alinéa 3, 61 point 5 de la Constitution qui garantissent le droit de la défense et le droit de recours qui sont des droits auxquels la Constitution accorde une protection particulière. A cet effet, elle a déclaré nulles et de nul effet les motions initiées et adoptées en violation des droits fondamentaux des gouvernants. Cette position jurisprudentielle de la Cour constitutionnelle est constante chaque fois qu’elle a eu à statuer sur des cas identiques.
Pour endiguer cette hémorragie des motions irrégulièrement initiées et adoptées, il sied d’entrevoir une loi portant procédures applicables aux motions des Assemblées provinciales. Ladite loi doit prévoir toutes les formalités procédurales, un organe de contrôle interne ainsi que des sanctions applicables par la Cour constitutionnelle. C’est dans ce contexte que nous proposons que le pouvoir des Assemblées provinciales dans la mise en responsabilité des Gouvernements puisse être encadré par une loi précise qui doit prévoir les modalités pratiques d’initiative et d’adoption des motions ainsi que des sanctions. Cette loi doit prévoir notamment, une limitation du nombre des motions à voter au cours d’une session parlementaire, les contextes à tenir en compte avant de procéder à l’adoption d’une motion, la création d’un organe interne au sein de chaque Assemblée provinciale dont la mission est de veiller au contrôle de procédure d’initiative et d’adoption des motions, ainsi que des sanctions à l’égard des membres du Bureau des Assemblées provinciales qui auront adopté des motions en violation des prescrits de la Constitution. Le rôle de la Cour constitutionnelle sera de contrôler la constitutionnalité de cette loi a priori et d’intervenir a posteriori pour censurer toute motion adoptée en méconnaissance de celle-ci et d’appliquer des sanctions pénales aux membres des bureaux de ces Assemblées.
Cette étude ouvre des perspectives sur la reconnaissance à la Cour constitutionnelle de la primeur juridictionnelle dans la protection des libertés et droits fondamentaux et les mécanismes envisageables pour un exercice efficient de vote des motions contre les Exécutifs provinciaux afin d’éviter des crises.