Par Hervé Ngulu Boka*
Résumé
La portée de l’option levée par le législateur congolais, d’instituer la cooptation aux côtés des élections comme mode d’accession à la députation provinciale, offre une perception bicéphale. Expression d’une législation favorisant une démocratie soumise aux principes majeurs régissant tout Etat de droit, d’une part, elle est aussi le symbole d’une législation protectrice des coutumes locales, d’autre part. Au travers de l’analyse de l’essence même des concepts démocratie, élections et cooptation, des conditions à remplir pour pouvoir revêtir le statut de député provincial élu ou coopté, de la portée de ces fonctions à l’intérieur et en dehors des Assemblées provinciales, de l’apport de l’Institution chargée de l’Organisation des élections et des juridictions compétentes en matière de contentieux électoral, ainsi que de la nécessité de sauvegarder et pérenniser les coutumes locales, naît le besoin de se prononcer sur la comptabilité de la législation congolaise en cette matière avec l’instauration ou le renforcement d’une démocratie inclusive, conformément à la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011 d’une part, et d’autre part, conformément à l’esprit de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces.
De toute évidence, les contextes socio-politiques congolais miroitent encore à ce stade une démocratie dynamique, au renforcement de laquelle les modes légaux d’accession aux fonctions de député provincial sont appelés à concourir, sans pour autant constituer une fin en soi ; le plus essentiel étant d’œuvrer effectivement et efficacement pour la satisfaction de l’intérêt général.
Mots-clés : Démocratie, Assemblée provinciale, Élections, cooptation, gestion administrative des provinces.
Abstract
The scope of the option taken up by the Congolese legislator to institute co-optation alongside elections as a mode of accession to the provincial legislature offers a two-headed perception. The expression of legislation that promotes democracy subject to the major principles that govern any rule of law, on the one hand, it is also the symbol of legislation that protects local customs, on the other. through the analysis of the concepts of democracy, elections and co- optation, the conditions to be fulfilled in order to assume the status of elected and co-opted provincial deputy, the scope of these functions within and outside the provincial assemblies, the contribution of the institution in charge of the organization of elections and the competent courts in matters of electoral disputes, as well as the need to safeguard and perpetuate local customs, the need to decide on the accounting of Congolese legislation in this area to establish or strengthen an inclusive democracy in accordance with the constitution of 18 February 2006, as amended by Law No. 11/002 of 20 January 2011, on the one hand, and on the other hand,
in accordance with the spirit of Law No. 08/012 of 31 July 2008 on fundamental principles relating to the free administration of the provinces.
Clearly, the Congolese socio-political contexts reflect at this stage a democracy that is undoubtedly dynamic, with the reinforcement of which the legal modes of accession to the functions of provincial deputy are invited to participate, without constituting an end in itself; the most essential is to work effectively and effectively for the satisfaction of the general interest.
Keywords: Democracy, provincial assembly, Election, co-optation, administrative management provinces.
Introduction
L’avènement de la 3e République1, scellé par l’entrée en vigueur de l’actuelle Constitution, aura servi de tremplin aux idées nouvelles devant contribuer à l’instauration effective et au renforcement d’une démocratie inclusive.
La mise en exergue du caractère inclusif de la démocratie englobe aussi l’instauration des modes auxquels il est fait recours pour accéder à l’exercice de certaines tâches importantes relatives à la gestion de l’État, au rang desquelles celle de député provincial. Membre d’une Assemblée provinciale conformément à l’article 7 alinéa 3 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 sous examen, le député provincial exerce une fonction essentielle pour sa province et, dans une certaine mesure, pour toute la République. En effet, ce dernier prend part aux délibérations de son Assemblée et exerce le contrôle sur l’Action gouvernementale provinciale dans les conditions fixées par les lois et règlements de la République. Aussi, jouit-il de certains privilèges liés à ses fonctions conformément aux dispositions des articles 9, 10, 11 et 12 de la loi susmentionnée.
Si la reconnaissance et l’attribution des pouvoirs si prépondérants au député provincial ne constituent à proprement parler une question inquiétante sur le plan organique, les voies légales posées pour l’accession à ces fonctions sont susceptibles de susciter un bon nombre d’interrogations relatives à leur portée. En effet, l’alinéa 4 de l’article 7 de la loi du 31 juillet 2008 prévoit, conformément à l’article 197 alinéa 4 de la Constitution, deux modalités permettant de se voir revêtir le statut de député provincial. Il s’agit de l’élection au suffrage universel direct et de la cooptation. Dans cette perspective, l’option levée par le législateur congolais met vraisemblablement en opposition deux modalités, qui, en dépit de l’objectif d’intérêt général auquel elles sont censées concourir par le biais des députés provinciaux, pousse inéluctablement à admettre une acception particulière de la notion de la démocratie, et de ses corollaires réels sur la vie socio-politique nationale, mieux provinciale. La conséquence la plus directe d’une telle réglementation est la différence d’avec le mode d’accession aux fonctions de député national, qui ne sont exclusivement possibles que par suffrage universel direct (article 101al. 1 de la Constitution).
Certes, les élections ne constituent que l’un de nombreux visages de la démocratie, le plus essentiel étant le concours effectif à la satisfaction de l’Intérêt général par le biais de l’action législative dans ce contexte2. Néanmoins, il n’en demeure pas moins utile de chercher à saisir l’essence, voire la « ratio legis » de l’instauration de la cooptation comme mode d’accession aux fonctions de député provincial.
- Voir Sebahra, Pamphile, « RD Congo : les défis de la 3e République », Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité GRIP, 2006 http://www.grip.org/bdg/g1063.html page consultée le 27.08.2023.
- Cfr. Organisation de Coopération et de Développement économique OCDE, Politique réglementaire et gouvernance : soutenir la croissance économique et servir l’intérêt général, éditions OCDE, 2012, p. 22.
De manière concrète, notre propos sera focalisé autour des questions suivantes : Quelle est la portée de la cooptation dans un régime démocratique ? Pourquoi ce mode d’accession aux pouvoirs n’a-t-il pas été institué pour la députation nationale ? Sur le plan pratique, en République démocratique du Congo, est-il fait effectivement recours à la cooptation ou son importance n’occupe qu’une dimension théorique, voire optative ? Nous basant, aussi bien sur la méthode exégétique, mieux l’interprétation téléologique des dispositions législatives supra mentionnées, que sur le constat sur la sphère législative provinciale, il sera plausible de se prononcer sur les rapports de compatibilité ou d’incompatibilité dudit mode avec les impératifs socio-politiques congolais. Un bref aperçu sur la jurisprudence en droit national sur cette matière serait aussi d’un apport non sans importance.
La présente analyse sera subdivisée en deux points présentant respectivement l’aspect théorique et pratique. Dans un premier temps, il sera question de brosser un aperçu des concepts Démocratie, Cooptation et Elections (I). Dans un second temps, il sera présenté l’analyse des rapports existants entre les fonctions de députés provinciaux et la cooptation dans le contexte démocratique congolais (II).
I. Balisage des concepts démocratie, cooptation et élections comme modes
d’accession au pouvoir
Le balisage conceptuel, analysé sous ce point, abordera tour à tour la définition étymologique, l’aperçu panoramique des acceptions scientifiques par les théoriciens et praticiens et le substrat juridique congolais.
A. La démocratie
C’est dans la langue grecque et latine qu’il faut recourir pour retracer l’étymologie du terme
« démocratie ». Y sont compris, d’une part, le préfixe « democratia » issu du bas-latin ou
« δημοκρατία » du vieux grec, équivalant à « demos » signifiant peuple, d’autre part, le suffixe grec « kratos » signifiant quant à lui, pouvoir. Fort de cette étymologique greco-latine, le terme « démocratie » entend inéluctablement l’exercice du pouvoir par le peuple, souverain primaire du pouvoir étatique.3
Pour étaler la prépondérante portée de cette expression, plusieurs auteurs, mieux théoriciens et acteurs juristes, politologues et sociologues, se sont octroyé la tâche de tenter de scruter l’essence de la démocratie. Si pour les uns, elle revêt une dimension purement optative, voire chimérique, pour les autres, elle est bien réelle au regard notamment de ses nombreuses conséquences.
- Aperçu panoramique des acceptions scientifiques par les théoriciens et praticiens de
la démocratie
D’entrée de jeu, il tient de mentionner que les diverses acceptions scientifiques relatives à la démocratie n’écartement pas fondamentalement l’orientation que ce terme emprunte dès de par son étymologie. Comme cela sera prouvé dans des lignes suivantes, en considération de différentes thèses émises, il est plausible de regrouper lesdites acceptions en deux angles à savoir : L’angle social et l’angle juridique.
L’angle social : La Démocratie comme réaction à l’absolutisme monarchique
Un regard vers les temps immémoriaux, à travers notamment l’hégémonie de l’Empire romain, révèle une société dont la gestion fut réservée à une caste d’individus, parvenus au pouvoir par des voies purement révolues4, assurant une gestion sans partage et redevable d’aucun Organe devant exercer véritablement un contrôle sensu stricto.
- Etienne, Vacherot, la Démocratie : Essai sur les sciences politiques, éd. Ligaran, Paris, 2015, p.124.
- Voir Luciano Canforad, Democrazia Storia di un’idologia, éd. Laterza, 2008, p. 100.
Certes, l’on peut relever à la Rome antique l’existence de certaines Instituions comme le Sénat, dont les tâches furent non sans importance. Cependant l’institutionnalisation des injustices sociétales, exprimée par la hiérarchisation des classes sociales, et de manière plus directe, le caractère héréditaire du pouvoir, engendraient des conséquences néfastes sur l’avenir de la population, qualifiée selon les sociétés de base-classe ou des plébéiens.5
Dans l’histoire moderne, les Révolutions américaine de 1776 (la guerre de sécession) et française de 17896, l’ère des indépendances en Afrique et en Asie vers les années 60 notamment, illustrent parfaitement la volonté populaire à aspirer à l’éradication définitive des dérives monarchiques en instaurant la démocratie.
C’est dans cette perspective que s’inscrit la pensée d’Isocrate, celle d’Aristote et de Solon. En effet, se référant à l’administration des villes de Carthage et d’Athènes, Isocrate et Aristote estimaient que les carthaginois et les athéniens seraient les mieux gouvernés du monde. Cette conviction, ces deux philosophes la construisirent sur la prévoyance qu’avait instituée l’Administration des villes énumérées supra, d’un équilibre des pouvoirs entre les Suffètes, le Grand Conseil et l’Assemblée du peuple, dans laquelle « chaque citoyen pouvait prendre parole sur l’objet en discussion, prérogative que l’on cherchait ailleurs ».7
Dans le fond, il était essentiellement question d’une démocratie élucidée par la liberté d’expression dont jouissaient les citoyens.
De son côté, Solon, rapporté entre autres par Dracon – qui aurait édicté en premier les lois écrites permettant d’éviter les dérives relatives à l’obscurité des textes8 -, est considéré comme le père de la démocratie. Après avoir découvert en Egypte les notions de la Démocratie et du droit de la grève, il revisita sa pensée bâtie jadis sur la répartition de la société en fonction des richesses, avec ceci de particulier que seuls les riches avaient un droit actif et passif aux élections. La démocratie, quoique pas encore identifiée comme telle en cette période, miroitait donc de nouvelles aspirations du peuple, leur besoin impératifs à réagir contre les contraintes de vie sous des régimes monarchiques, dépourvue de toute ouverture à une association directe ou indirecte du bas-peuple à la gestion de la chose publique. Cet impératif social acquiert une dimension plus structurelle dans son aspect juridique.
L’angle juridique : La démocratie comme régime politique
L’aspect juridique de la démocratie, reprend, à l’instar de l’angle social, l’essence étymologique de cette expression. Dans l’un de ses célèbres discours, le président américain Abraham Lincoln déclara que la démocratie était le pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple.9 Cette déclaration laisse poindre sans équivoque l’affirmation et la ferme volonté de placer le peuple au cœur même de l’Action du gouvernement. Comme qui dirait, le peuple, c’est l’intérêt général et l’intérêt général, c’est l’État.
En tant que régime politique, la démocratie se tient aux prises avec le totalitarisme ou la dictature. Régime politique, la démocratie est celui dans lequel le peuple dispose du pouvoir souverain et l’applique en respectant des principes démocratiques.10
- Francis Dupuis-Déri, Démocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, éd. Lux, Montréal, 2013,
p. 456.
- Voir Martine Lapied, Le Combat et la Révolution française : naissance des options collectives, Aix-en-Provence, 1996,
p. 22.
- Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple. Agoraphobie et agoraphilie politiques, Lux Editeur, Montréal, 2016, p.464.
- Francis Dupuis-Déri, Idem, p.464.
- Voir Elmore, Lincoln’s Gettyburg Address : Echeos of the Bible and Book of Common Prayer, Illilois press university, 2014, p. 182.
- Caroline Andrew, la démocratie à l’épreuve de la gouvernance, presses universitaires d’Ottawa, 2001, p. 121.
Au rang de ces principes, peuvent être énumérés le respect des droits de l’homme et libertés fondamentales, le respect du principe de procès contradictoire et de la présomption d’innocence. Il va sans dire que la démocratie, vue sous cet angle, offre le visage d’un régime plutôt paradisiaque. A en croire Etienne Vacherot, la démocratie est la seule forme politique adéquate à la liberté, la seule juste, par conséquent la seule vraie, dans le sens propre du mot.11
Il sied cependant de reconnaître qu’une telle acception paraît quelque peu chimérique. Le caractère illusoire d’une pareille conception se vérifie avec le nombre incalculable d’injustices sociales, de la commission d’infractions et crimes parfois au nom d’une (pseudo)-démocratie dans le monde. Ainsi, devient-il nécessaire de s’interroger sur un double visage dont serait dotée la démocratie, en raison de sa capacité à ne profiter qu’aux dirigeants et à opprimer d’avantage les plus démunis. Partant d’un constat général essentiellement sur la scène internationale, l’on serait tenté de penser que la démocratie ne serait en fait qu’une autre forme de la tyrannie ; une forme sournoise et institutionnalisée de l’autoritarisme.
Une autre préoccupation majeure à ce propos serait de s’interroger, si elle ne devrait pas revêtir un caractère relatif et non universel, puisque comprise et mise en œuvre différemment selon les facteurs spatio-temporels, c’est-à-dire en fonction de l’Etat sur le territoire duquel elle est conçue.
Orientant leur propos dans cette optique, certains penseurs français, dont Octave Mirbeau et Hyppolyte Taine, ont estimé que la démocratie serait une grande pourrisseuse, tentant de remplacer la loi tutélaire de la majorité par l’arbitraire tyrannique du petit nombre, en faisant du peuple esclave des partis politiques.12 De même, la démocratie ferait perdre au peuple la conscience de la hiérarchie et du devoir13, cette loi primitive et souveraine des sociétés organisées.14
Nous appuyant sur l’auteur congolais Greg Basue Kazadi, pour qui la démocratie reste le régime politique le moins mauvais15, nous estimons qu’elle présente effectivement le mérite de placer le peuple au cœur de l’Action des pouvoirs publics. Elle noue de ce fait un lien étroit avec la liberté et l’Etat de droit. C’est dans ce sens que la RDC s’identifie en un Etat démocratique.16
2. Substrat juridique illustratif
Depuis son acception à la souveraineté nationale et internationale, la RDC peut se prévaloir de son arsenal juridique profondément fourni. Si les heures sombres du régime Mobutu ont empêché la mise en lumière du caractère démocratique de l’Etat, la Constitution actuellement en vigueur depuis le 18 février 2006 permet d’affirmer, sur le plan législatif, que la RDC est un Etat démocratique. Ceci ressort des dispositions de l’article 1er de ladite constitution.
Dans la même veine, toutes les autres lois, les différents règlements, voire les décisions et Arrêts de justice, attestent cette acception, notamment à travers l’existence des formations politiques et le concours de ces derniers au pouvoir.
- Etienne Vacherot, La Démocratie : Essai sur les sciences politiques, éd. Ligaran, Paris 2015, p 49.
- Voir Achette Livre BNF, Le Député de l’opposition, ce qu’il est, ce à quoi il sert, ce qu’il coûte, Paris, 2013, page 2.
- Voir Hippolyte Taine, Carnets de voyage : Notes sur la province, 1863-1865, Hachette, 1897.
- Voir Octave Mirbeau, Le Tripot aux champs, Le Journal, 27 septembre 1896.
- Voir Basue Kazadi Greg, Introduction générale à l’étude du droit : droit public, Presses universitaires, Kinshasa, 2012,
p. 25.
- Article 1 de la Constitution du 18 février 2006.
B. Élections et cooptation comme mode d’accès au pouvoir législatif
Les diverses voies auxquelles recours a été fait pendant des siècles dans différentes sociétés pour accéder aux fonctions régaliennes, sont dotées irréversiblement d’un caractère relatif du point de vue de leur acceptation. Si la conquête, la domination et l’hérédité ont longtemps été considérées comme des modes adéquats, mieux, réguliers d’accession aux pouvoirs, force est d’admettre qu’avec la naissance de l’Etat moderne17, certains mécanismes d’acquisition de pouvoirs se sont révélés comme étant aux prises avec l’essence même de l’Etat, et dans une certaine mesure de la démocratie.
En effet, au cœur de la problématique relative aux modes d’accession aux pouvoirs se trouve la question primordiale de légitimité du pouvoir. Cette notion, développée essentiellement par le sociologue allemand Max Weber, pose les rapports entre l’Action politique et l’acceptation de celle-ci par le gouverné. Dans son analyse, Max Weber établit le rapport entre le pouvoir, qu’il entend comme la capacité qu’a un acteur d’imposer sa volonté aux autres dans le cadre des relations sociales, et la domination traditionnelle et charismatique ou rationnelle.18 Le visage actuel des régimes démocratiques, au regard de certains Etats dans lesquels règne encore la Royauté comme en Royaume-Uni, en Belgique et en Espagne, ne permet pas de déduire de manière unanime sur la portée de différents modes d’acquisition de pouvoir du point de vue de leur légitimité. Compte tenu du cadre dans lequel un pouvoir ou une autorité est appelé à être exercé, il devient plus adéquat d’analyser son impact réel sur l’administré afin d’apprécier sa légitimité.
Sans vouloir s’éterniser dans les théories du sociologue allemand, il importe d’analyser particulièrement les concepts « élections » et « cooptation », afin de comprendre de manière générale d’abord leur portée au regard de la légitimité qui en résulte, avant de les aborder de manière précise dans leurs rapports avec la députation provinciale en droit congolais ensuite.
- Les élections
Le terme « élections » tire son origine du verbe latin « eligere », choisir, et du substantif
« electio », choix. L’élection est littéralement l’action de choisir.
Dans l’esprit de la présente analyse et dans l’entendement littéraire, elles se rapportent à l’action par laquelle la population d’un Etat précis est appelée, par voie des urnes, de à se choisir ses dirigeants, devant siéger dans les Institutions publiques, mieux, politiques.19 Sous cet angle, les élections, comme nous le verrons dans les lignes suivantes, revêtent une dimension très cruciale pour la vie d’un Etat. Elles nouent, d’une part, un lien direct avec la conception originelle de la démocratie et, d’autre part, avec la légitimité dans un État.
Elections au cœur de la conception originelle de la démocratie
Des définitions étayées respectivement pour les concepts démocratie et élections, il se dégage une sorte de rapport d’inclusion. En effet, mettant au centre de son essence le peuple, la démocratie accorde à celui-ci un statut particulier, faisant de lui le souverain primaire de la chose publique ; et la conception et la mise en œuvre d’un Etat démocratique vont logiquement de pair avec la mise sur pied des élections, mécanisme permettant au peuple de se choisir librement ses représentants.
Dans cette logique, les élections apparaissent comme l’une des principales manifestations de la démocratie.20
- Voir Jean-Philippe Genet, l’Etat moderne et les élites. XIII-XVIIIe, éd. de la Sorbonne, Paris, 2020, p.100.
- Allen Kieran, Weber: Sociologist of Empire, éd. Pluto Press, London, 2017, p. 150.
- Voir United Nations Humans Rights, Human Rights and elections, New-York, 2021, p.65.
- Voir Jacques Thomassen, Elections and democracy: representation and accountability, Oxford University Press, 2014,
p. 55.
En effet, comme il sera abordé au point suivant, cette reconnaissance des élections comme manifestation essentielle de la démocratie ne peut être absolue, entre autres en raison de la coexistence d’autres éléments aussi prépondérants définissant également un Etat démocratique, à l’instar de la liberté d’expression et du respect des droits de l’homme, mais aussi à cause des limites que celles-ci accusent.
Elections et légitimité du pouvoir : forces et faiblesses des élections
L’octroi ou l’acquisition de la légitimité d’un pouvoir issu des élections sont logiquement la conséquence d’une mise sur pied réussie d’un Etat démocratique. Dans les faits, les pouvoirs octroyés par le peuple sont dotés d’une certaine autorité, d’une pleine légitimité. Cette légitimité se traduit concrètement par l’acceptation par le peuple de ses dirigeants et de leur politique, le respect des institutions étatiques et d’une manière large, contribue à éviter les conflits sociaux, susceptibles d’engendrer des sécessions, des guerres civiles, des coups d’Etat et tant d’autres maux hostiles au bon fonctionnement de la « res publica »21.
Cependant, il sied de reconnaitre que les élections, afin de contribuer au renforcement de l’Etat ou de faire asseoir véritablement la légitimité, obéissent à certaines règles, dont la non- observance, malheureusement observée depuis belle lurette, remet en cause la portée même de ce mode d’accès au pouvoir22. Ces règles, devenues un véritable refrain repris avec empressement, notamment dans l’environnement politique de l’Afrique subsaharienne, se rapportent à la transparence, à la liberté et à l’inclusivité des élections. Elles s’identifient dans une formule pratique à la « vérité des urnes. »23
Qu’elles se rapportent au suffrage universel direct ou indirect, les élections ne constituent pas une fin en soi. Quoique formellement adaptée à l’essence de la démocratie, ces dernières ne sont qu’un moyen d’accéder au pouvoir. Au regard de certains scénarios malheureux qui se vivent en Afrique, notamment à la suite des processus électoraux, les élections apparaissent comme éloignant le but primaire de la démocratie des aspirations du peuple. De plus en plus, elles n’offrent qu’un visage formaliste d’un simple instrument au service de la bourgeoise ; d’où la multiplication des contestations des résultats dans des nombreux Etats, dont les plus récentes ayant conduit au coup d’Etat militaire en république gabonaise en Août 2023.
Il convient néanmoins de s’accorder sur l’angle positif de ce mécanisme d’accession aux pouvoirs, qui cadre inéluctablement avec l’essence d’un Etat démocratique à l’instar du Congo.
Substrat juridique illustratif
En droit congolais, l’organisation des élections est réglementée de manière concrète par une loi organique. La Constitution de la République, actuellement en vigueur, les prévoit pour différentes institutions, notamment le Président de la République, aux articles 70 et 71, les députés nationaux, aux articles 101 et 102, les députés provinciaux, à l’article 197 alinéa 4 et les sénateurs, au suffrage indirect aux articles 104, 105 et 106.
- La cooptation
La cooptation tire son origine du latin « cooptatio ». Il se traduit par le choix ou l’élection pour compléter un corps ou un collège. Sa particularité consiste au fait qu’elle s’effectue par les membres d’un corps ou d’un collège préalablement élus.24
- Voir United Nations Humans Rights, Human Rights and elections, New-York, 2021, p.54.
- Cfr. Jacques Thomassen, Elections and democracy: representation and accountability, Oxford University Press, 2014,
p. 55.
- Voir United Nations Humans Rights, Human Rights and elections, New-York, 2021, p.12.
- https://www.toupie.org/Dictionnaire/Cooptation.htm, consultée le 13. 09. 2023
Cooptation et démocratie
Il sied de relever la même lecture faite pour le rapport entre les élections et la démocratie. La cooptation n’étant qu’un mécanisme d’accession au pouvoir, il ne saurait plausible d’apprécier sa compatibilité ou son incompatibilité avec la démocratie qu’au regard de la satisfaction d’intérêt général. De ce point de vue, elle reste conforme à l’essence même de la démocratie dès lors qu’elle est prévue par la loi comme pouvant servir d’accéder au pouvoir. Cette perspective s’inscrit dans la logique de la législation congolaise et sera détaillée de manière singulière dans la deuxième partie du présent travail.
Cooptation et légitimité
Ses rapports avec la légitimité s’articulent autour du mécanisme prévoyant sa mise en exercice. Si admettre que la cooptation n’est pas l’œuvre du peuple en tant que souverain primaire est vrai, il tient de reconnaitre aussi qu’elle dérive, comme cela sera expliqué dans les points suivants, des élus du peuple. Sous cet angle, la cooptation trouverait toute sa pleine légitimité25. Une fois encore, c’est sur base d’un bon accomplissement des tâches visant la satisfaction de l’intérêt général que doit s’apprécier l’efficacité de la cooptation comme mode d’accession au pouvoir.
Substrat juridique illustratif
C’est à l’article 197, alinéa 4 de la Constitution que la cooptation est érigée au côté des
élections comme mode permettant l’accession aux tâches de député provincial.
I. La démocratie à l’orée des modes d’accès au pouvoir dans les Assemblées provinciales en République Démocratique du Congo
La portée des fonctions qu’assument les députés provinciaux se trouve liée à l’importance de l’entité territoriale dans laquelle ces derniers opèrent. Il est, en effet, question de la province, composante politique et administrative et dotée de la personnalité juridique.26 Elle représente le prolongement du pouvoir central à l’intérieur de l’État et comprend divers organes locaux, mieux, les entités territoriales décentralisées, à savoir : la ville, la commune, le secteur et la chefferie.27 Les députés provinciaux quant à eux, exercent leurs fonctions au sein des Assemblées provinciales.
A. Présentation sommaire des Assemblées provinciales en droit congolais
Organe délibérant de la province, l’Assemblée provinciale délibère dans le domaine des compétences réservées à la province et contrôle le Gouvernement provincial ainsi que les services publics provinciaux.28 Les compétences lui reconnues confèrent à ses membres, les députés provinciaux, un rôle capital, notamment au regard des rapports avec l’exécutif provincial. En effet, il leur est reconnu le pouvoir d’élire le gouverneur de province et la mise en œuvre de la motion de censure ou de méfiance conduisant à la destitution d’un membre ou de tout le gouvernement provincial29.
Au-delà de ces compétences, qui s’apparentent à celles dévolues aux députés nationaux à l’endroit du gouvernement national, la portée que le législateur confère aux assemblées provinciales l’éloigne de celle de l’Assemblée nationale.
- Voir Peter Steiner, « cooptation » in Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), https://hls-dhs-dss.ch/fr/ articles/010379/2008-10-30/ consultée le 30 septembre 2023.
- Voir exposé des motifs de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces
- Art. 3 al. 2 de la Constitution.
- Art. 197 al. 1 Constitution.
- Art. 198 al. 9 Constitution.
Il se dégage l’idée d’une certaine proximité dont le législateur tend à faire bénéficier les
populations locales.
- L’Assemblée provinciale dans la conception de la proximité du pouvoir
D’entrée de jeu, il convient de rappeler que la République démocratique du Congo est un Etat unitaire décentralisé.30La décentralisation, qui revêt quelques aspects du fédéralisme, permet notamment la libre administration de l’Etat, de sorte que les entités territoriales à l’intérieur de ce dernier bénéficient d’une certaine autonomie, outre qu’elles incarnent le prolongement du pouvoir central, mieux, son rapprochement des entités ou des populations locales. C’est exactement dans cette perspective que s’inscrit la mise en place des Assemblées provinciales.
Les Assemblées provinciales obéissent donc à cette logique du rapprochement du pouvoir central des entités locales en ceci qu’elles en constituent des organes législatifs provinciaux majeurs. Majeurs, en effet, par ce qu’au niveau d’autres entités administratives rurales, il est institué certains organes à l’instar des conseils urbains ou municipaux, qui participent aussi à la prise des décisions dans l’étendue des compétences leur reconnues dans la loi. Avec une population estimée à 95 millions d’habitants, dont 77, 93 millions habitant l’intérieur du pays31, le Congo est essentiellement constitué des populations locales que le législateur congolais a voulu faire représenter à un double niveau : Il leur a octroyé d’abord les représentants au niveau de l’Assemblée nationale et des Assemblées provinciales, en suite.
Dans cette optique, l’Assemblée nationale porte la « vox populi » du point de vue nationale, alors que les Assemblées provinciales quant à elles, portent celle des populations locales de l’intérieur du pays par le biais des députés provinciaux.
B. Des Députés provinciaux
Deux modes d’accès au pouvoir législatif provincial en République Démocratique du Congo :
les élections au suffrage universel direct et la cooptation.
- Des députés élus
Comme l’indique le qualificatif, il s’agit de ceux à qui le statut de députés provinciaux est reconnu de suite de leur élection au suffrage universel direct par la population.32 Ces derniers acquièrent en effet le statut sus mentionné par la même voie que les députés nationaux.33Qu’ils soient élus ou cooptés, les députés provinciaux exercent leurs fonctions pour un mandat de 5 ans renouvelable. 34
S’attachant à l’esprit de la présente analyse, il sied de noter que les élections comme mode d’accession aux fonctions de député provincial, ne constituent pas une problématique sur laquelle l’on puisse s’attarder. Elles correspondent en effet à la logique d’une démocratie participative, qui s’appuie sur le peuple de qui découle le pouvoir d’attribuer ses voix à tout candidat de son choix35. En dépit des conditions auxquelles tout candidat désireux de devenir député provincial est soumis, la loi n’impose aucune autre exigence spéciale devant être remplie par les candidats présents sur les listes de vote.36
- Cette acception est tirée du libellé des articles 2, 3 et 4 de la constitution, appuyé par la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces.
- Voir Roland Pourtier, La République démocratique du Congo face au défi démographique, Institut français de relations internationales IFRI, Paris 2018, p. 13.
- Art. 197 al. 4 Constitution.
- Cfr Art. 101 al. 1 Constitution.
- Cfr. Art. 197 al. 4 Constitution.
- Voir Coumba Diop, Les figures du politique en Afrique : des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Dakar, 1999, p. 88.
- Cfr. Articles 10-21 de la loi électorale telle que modifiée par la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017.
Des conditions de candidature à la députation provinciale
Les conditions générales requises à tout candidat sont posées à l’article 18 de la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017.
Il est notamment question de la photocopie de la carte d’électeur, de l’acte ou attestation de naissance, un symbole ou logo du parti politique, la preuve de la démission ou de la demande de mise en disponibilité, en cas des fonctions incompatibles, et d’autres formalités fixées pour les candidats députés provinciaux à l’article 149 de la loi citée.
Manquement aux conditions de candidature
L’article 21 de la loi précitée énumère certains motifs précis empêchant l’aboutissement d’une candidature déposée en bonne et due forme. Il s’agit notamment du non-paiement de la caution électorale exigée, de l’absence de consentement donné par écrit du candidat ou la non- satisfaction des exigences reprises à l’article 18 de la Loi.
Par ailleurs, ces différentes conditions ne s’appliquent pas mutatis mutandis pour les candidats députés devant être cooptés. Cette deuxième catégorie est celle qui mérite le plus d’attention, étant donné qu’elle touche véritablement l’aspect formel des voies d’accession aux fonctions de député provincial telles que prévues par la loi.
- Des députés cooptés
A l’instar de ceux élus au suffrage universel direct, les députés cooptés trouvent aussi leur substrat constitutionnel à l’article 197 alinéa 4. Cependant, la conception et la réglementation de cette deuxième catégorie d’élus provinciaux offrent une particularité relative d’abord aux conditions devant être remplies par tout candidat à coopter, à la procédure légale prévue à cet effet et enfin aux conséquences en découlant tant au sein des Assemblées provinciales qu’à l’extérieur de celles-ci.
L’analyse des conditions légales prévues pour la cooptation et les conséquences en découlant étendent le champ des textes à exploiter dans la présente étude. En effet, au-delà de la Constitution et de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008, elle s’appuie aussi sur la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 portant statut des chefs coutumiers.
Ainsi, notre propos contourne -t-il les autres conditions générales applicables aux députés élus directement par le peuple pour se focaliser sur la condition sine qua non, qui n’est rien d’autre que celle de revêtir préalablement le statut de chef coutumier.
Le statut de chef coutumier comme condition sine qua non
L’analyse de cette condition va permettre d’établir les rapports entre la cooptation et le statut de chef coutumier. Pour ce faire, il sera présenté dans un premier temps de façon laconique le statut de chef coutumier, et dans un second temps, les motivations du législateur sur le choix de ce dernier sur les autres autorités locales ou rurales instituées en droit congolais.
C’est dans la connaissance de l’histoire socio-politique de la RDC qu’il convient de s’orienter pour mieux appréhender la place de choix qu’occupe l’autorité coutumière. C’est principalement dans la constitution du 18 février 2006 que le législateur reconnait et consacre l’autorité coutumière dans divers domaines de la vie publique.
Aux termes de l’article 207 de cette dernière, l’autorité coutumière doit être conforme et non contraire à la Constitution elle-même, à la coutume locale, à la Loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
En dehors de cette réglementation générale constitutionnelle, la loi du 25 Août 2015 organise de manière plus concrète ce statut, et en précise de ce fait certains termes qui démontrent toute l’importance de la coutume en RDC. L’article 2 de la Loi précitée définit la coutume locale comme l’ensemble des usages, des pratiques et valeurs qui, par l’effet de la répétition et revêtus d’une publicité, s’imposent, à un moment donné, dans une communauté, comme règles obligatoires.
De même, le pouvoir coutumier désigne l’ensemble des mécanismes d’administration d’une communauté fondés sur les us et coutumes.37
Pour garantir une réglementation commode et s’assurer de son omniprésence dans la mise en œuvre du pouvoir coutumier ci-haut défini, l’Etat congolais instaure l’Institution Chef coutumier, dont l’Autorité s’exerce au sein des juridictions ou entités ci-après : la chefferie, le groupement et le village.38 De même l’exercice des fonctions de chef coutumier est soumis à certaines conditions fixées à l’article 5 de cette loi, notamment la nationalité congolaise, n’avoir pas fait l’objet d’une condamnation irrévocable à une peine privative de liberté pour infraction intentionnelle. Ces fonctions prennent fin entre autres par l’abdication, le décès ou la déchéance.39
Par ailleurs, au milieu de cette louable volonté de l’État de réglementer les fonctions de chef coutumier et de la mise sur pied de cette dernière, se cachent bon nombre d’interrogations, faisant naitre une vive curiosité sur les raisons ayant conduit le législateur à réserver la possibilité de cooptation aux chefs coutumiers. Cette question est d’autant plus élémentaire qu’elle met en parallèle le statut de chef coutumier et de différentes autres autorités exerçant leur pouvoir dans les plus petites entités territoriales de l’État.
Conformément à l’article 2 alinéas 1 et 2, et à l’article 3 de la Constitution, les différentes provinces énumérées dans la Loi fondamentale et les entités territoriales décentralisées représentent la composition de l’élément territorial de l’Etat congolais. Si la capitale, Kinshasa, et les autres villes du pays, par le fait de leur ouverture interculturelle mondiale et d’autres facteurs spécifiques, n’incarnent pas véritablement le rapprochement aux valeurs coutumières ou traditionnelles originales congolaises, il n’en reste pas moins que les autres entités, notamment les secteurs et la chefferie demeurent « heureusement encore » des localités dans lesquelles les acquis des traditions primaires congolaises sont traçables. Dans cette logique s’inscrivent aussi d’autres entités territoriales déconcentrées à l’instar des Territoires, dirigés par les Administrateurs.
Pour cette raison, il est légitime de s’interroger sur ce qu’il en serait si le législateur congolais devrait laisser le champ ouvert à toutes les autorités locales, dont l’exercice du pouvoir présente un rapprochement acceptable avec des populations habitant les coins les plus reculés du pays, de se faire coopter. Concrètement, aurait-il été inapproprié par exemple de rendre la cooptation possible pour un chef de secteur, un chef de quartier ou de chefferie ? Face à la difficulté d’en trouver une réponse assez claire dans la constitution et loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, il paraît plus plausible de s’appuyer sur l’interprétation téléologique de la loi du 25 Août 2015 et la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 sus mentionnées.
C’est essentiellement des dispositions de l’article 10 de cette loi que se dégage l’explication la plus adéquate au choix du législateur.
- Cfr Art. 2.6 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
- Cfr. Art. 3 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
- Cfr. Art. 7 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
Si la bonne marche de juridiction à laquelle il est invité rentre de toute évidence dans le cadre des tâches auxquelles sont conviées les différentes autorités de l’Etat dans leurs fonctions respectives, la mission d’assurer la pérennité des coutumes40 , quant à elle, constitue à notre avis, la plus propice et plus originale à son statut.
Il va sans dire que le chef coutumier est chargé de sauvegarder et faire respecter les valeurs traditionnelles morales, le patrimoine culturel, les vestiges ancestraux, veiller conformément à la loi, à la protection des espaces fonciers qui relèvent des terres des communautés locales.41 Aussi, au regard de la procédure prévue pour acquérir le statut de chef coutumier, il se dégage une différence essentielle d’avec les autres statuts notamment des conseillers de secteurs ou chefferie, qui au sens de l’article 211 de la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017, devraient être directement élus au suffrage universel. Avec le chef de secteur, ces conseillers œuvrent au sein des entités territoriales décentralisées et occupent, dans une certaine mesure, une position dans l’Administration territoriale qui ne les rapproche pas véritablement du rôle « d’arrière- garde » de conservateurs des valeurs coutumières. Il en est ainsi pour les administrateurs de territoires dont l’étendue des compétences est plus large que celles des chefs coutumiers.
Il en découle que, l’autorité coutumière s’exerçant au sein de la chefferie, du groupement et du village, le chef coutumier s’affiche en autorité idoine à qui le pouvoir d’être copté est reconnu. Le fait pour lui d’être qualifié d’autorité locale au même titre que les autres, n’exclut pas qu’il est subordonné à l’Autorité publique, concrètement à l’autorité locale supérieure à lui, dont dépend notamment son investiture42. Dans le cas d’espèce, il peut s’agir d’un Administrateur de territoire ou d’un chef de secteur. Le chef coutumier incarne, en effet, une institution placée en bas de l’échelle, sans laquelle la protection des valeurs traditionnelles congolaises intrinsèques seraient mises en péril. Réserver la cooptation aux autorités coutumières est un moyen pour le législateur de mettre en valeur cette juridiction essentielle à la conservation du patrimoine traditionnel. Ceci est enfin une façon d’éviter que le chef coutumier, dans l’hypothèse où il serait candidat aux élections, exerce une certaine influence, voire de nature superstitieuse, sur les membres de sa juridiction, afin d’arracher leurs voix de force.
C. Compatibilité ou incompatibilité de la cooptation avec le modèle démocratique congolais
Parler d’un modèle démocratique congolais peut, a priori, paraître osé au regard du caractère jeune de la démocratie en question, au vu notamment du nombre des scrutins que connait l’Etat congolais. Indépendante depuis 1960, la RDC, n’a connu que trois fois la tenue des élections législatives et présidentielles démocratiques dont les dernières en décembre 2018. Le prochain scrutin prévu en décembre 2023 en sera ainsi le quatrième.
Cela étant, si de son histoire politique se dégagent clairement le besoin et la nécessité de s’améliorer, il n’en demeure pas moins que sa conception de la démocratie est intimement liée aux diverses contraintes culturelles, faisant d’elle un modèle typiquement congolais, sans lui enlever, cependant, son caractère voire sa vocation universellement dynamique. C’est à ce titre qu’elle est fortement confrontée à une nécessité d’adaptation aux contextes congolais.
Le législateur semble l’avoir tellement bien saisi qu’il a, dans cette optique, mis en exergue le statut de chefs coutumiers dans la représentativité démocratique locale, en octroyant à ce dernier la faculté d’accéder aux fonctions de député provincial par voie de cooptation.
- Cfr. Art. 10 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
- Cfr Art. 10 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
- Cfr Articles 6, 11-17 de la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
Cette conception ne fait, néanmoins, aucune unanimité, si bien qu’il se dégage d’un côté, les arguments pro cooptation et de l’autre, ceux remettant en cause sa compatibilité avec la démocratie congolaise.
- Réflexions sur la compatibilité
Les arguments à ce stade se regroupent en deux tendances : la cooptation comme protectrice des coutumes locales et la cooptation comme propice au développement d’une démocratie congolaise encore embryonnaire.
Cooptation comme instrument protecteur du patrimoine traditionnel
Cette tendance est en réalité une conséquence logique des arguments avancés pour essayer de comprendre le choix du législateur sur les chefs coutumiers en lieu et place d’autres autorités exerçant leurs compétences au niveau local.
Les députés cooptés, au travers de leurs interventions, de leur action parlementaire, placent au premier plan le souci de protéger les coutumes locales de différents territoires dont ils sont originaires.
Néanmoins, cet aspect des choses ne tend pas à remettre en question la protection desdites coutumes par les députés élus. D’ailleurs il faut rappeler que ce sont les élus qui cooptent les chefs coutumiers préalablement désignés par les Assemblées ci-haut mentionnées. La cooptation et/ou la désignation se rapproche beaucoup plus du mode traditionnel ancestral par lequel le pouvoir hérité fut transmis43. De cette manière, celle-ci est d’abord sur le plan formel une expression de conservatisme ou un prolongement du mode de transmission de pouvoir ancestral, et ensuite une façon pour le législateur de bien encadrer l’action des Assemblées provinciales en ce qui concerne la place des coutumes dans un tel Organe délibérant.
Cooptation comme expression adéquate d’une démocratie en balbutiement
Que la démocratie congolaise balbutie, cela relève d’un constat général, susceptible d’être attesté de diverses manières. Ces balbutiements s’inscrivent dans la logique d’une démocratie ayant été secouée peu après l’indépendance par le coup d’Etat du 24 Novembre 1965, la longue période du monopartisme, les vives tensions socio-politiques et les contentieux qui entourent chaque organisation des élections44. Certes, ces intempéries socio- politiques ne sont pas l’apanage de la démocratie congolaise, mais il convient de relever qu’à l’instar de nombreux Etats d’Afrique sub-saharienne notamment, elles sont teintées d’un caractère très violent tendant à remettre en cause la crédibilité de l’ensemble du processus électoral et de la vérité des urnes.
Cette acception ne tend pas à soutenir l’idée selon laquelle la cooptation aurait permis l’éradication miraculeuse de différents conflits qui naitraient des élections, au point que même le président de la République devrait être coopté. Il est simplement à noter que la cooptation permet de réduire les chances de parvenir à des tensions ou contentieux. Aussi, était-il permis de penser que la cooptation appliquée aujourd’hui aux chefs coutumiers candidats sont susceptibles, soit d’être abrogée pour ne laisser place qu’aux élections, soit d’être étendue au niveau de l’Assemblée nationale, de sorte que les coutumes locales bénéficient aussi d’une bonne garantie de protection comme dans les Assemblées provinciales.
- Voir Coumba Diop, Les figures du politique en Afrique : des pouvoirs hérités aux pouvoirs élus, Dakar, 1999, p. 88.
- Voir Roger Thamba Thamba, « contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour constitutionnelle congolaise : esquisse de question d’ordre procédural », Librairie africaine d’études juridiques, Kinshasa, 2017, p. 616.
En clair, nous soutenons qu’elle que la cooptation reflète l’image d’une démocratie encore encours de progression. Entre conception universelle de la démocratie et contrainte d’adaptation aux impératifs socio-culturels congolais, elle occupe une place non négligeable.
2. Réflexions sur l’incompatibilité
Les points de vue évoqués dans ce point tendent à présenter la cooptation comme frein à l’émergence de la démocratie participative et portant atteinte à la légitimité des députés cooptés.
Cooptation comme frein à l’émergence de la démocratie participative
Comme décrit laconiquement sous le point relatif à la procédure de cooptation, les chefs coutumiers devant accéder aux fonctions de députés provinciaux échappent aux élections directes par le peuple. De cette façon, le peuple en sa qualité de souverain primaire se voit soit retirer son pouvoir de choix, soit diminué ou limité dans ce dernier. Eu égard au visage de la démocratie congolaise, qui se veut encore progressive, mieux sinon constructive, rendre le droit de vote inclusif, démuni de toute restriction ou limitation, permettrait au peuple de lui donner la pleine confiance, de lui assurer sa véritable place dans les différents processus électoraux devant aboutir à l’investiture de ceux désireux de siéger comme représentant du peuple au niveau des Assemblées provinciales.
Néanmoins, il importe de signifier que ces députés désignés, par le fait de leur cooptation par les députés élus45, ne s’éloignent pas complètement de l’expression ou de la volonté électorale du peuple. Dans le concret, l’on peut en déduire en une sorte de suffrage universel indirect, lequel se trouve matérialisé par les députés choisis directement par le peuple. En d’autres termes, les cooptés sont aussi indirectement une émanation de la volonté du peuple. Aussi, eu égard aux coutumes qu’ils sont censés représenter et protéger dans les Assemblées provinciales, serait-il concevable d’admettre qu’ils agissent au nom du peuple, à qui lesdites coutumes appartiennent. Qu’à cela ne tienne, la mise en musique de la cooptation présente dans les contextes ci-hauts décrits plus de limitation que de liberté à l’exercice du droit de vote reconnu au souverain primaire. De cette limitation peuvent naître le sentiment de déconsidération dans le chef du peuple, mais aussi le sentiment, voire l’illusion de n’être en rien redevable du peuple dans le chef des députés cooptés, et ce au mépris des textes légaux et réglementaires qui les placent sur le même pied d’égalité que les élus, et les soumettent, par conséquent, aux mêmes obligations.
Cooptation comme restreignant la pleine légitimité des députés provinciaux
Ce point se rapporte essentiellement aux relations internes entre membres des Assemblées provinciales, qui, au rebours des prescrits légaux régissant leurs statuts en ce qui concerne les avantages et privilèges dont ils doivent bénéficier, mieux de leur légitimité, semblent, dans la pratique, échouer. Différents témoignages rapportés font état d’une situation criante qui accuse plusieurs manques qu’il convient de revoir.
En analysant, sur terrain, l’étendue de l’action laissée aux députés cooptés, il en résulte que ceux-ci sont sans rires victimes d’un traitement déshonorant leur statut. A titre illustratif, il est rapporté que leurs opinions, leurs différents avis ne jouissent pas généralement d’une particulière attention ou d’un assentiment auprès de leurs collègues élus. Certains se plaisent à leur signifier que leurs fonctions seraient simplement consultatives, dans ce sens que leur plus grand devoir se limiterait à veiller sur le respect des coutumes, lequel respect pouvant par ailleurs mieux être apporté même sans leurs concours.
- Cfr. Art. 153 de la loi n °061006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales.
La conséquence la plus préjudiciable, et malheureusement logique de cette situation, est l’absentéisme, voire l’inertie ou la nonchalance caractérisée des députés coptés aux séances plénières et diverses activités.
En dehors de ces maux, il se révèle aussi un véritable non-respect de procédure et un manque de suivi efficace permettant la désignation d’abord et la cooptation ensuite de personnes revêtues effectivement du statut de chef coutumier. Les contours électoraux sont tel qu’à cause du manque de patriotisme et de la politique du ventre, des citoyens miraculeusement devenus chefs coutumiers, saisissent la balle au bond pour se faire coopter et accéder aux fonctions des députés provinciaux. Dans cette optique, la motivation est loin d’être l’intérêt général ou la protection des coutumes, qui pis est, sont non maitrisées. Elle est plutôt la poursuite de l’autosatisfaction au détriment de l’Etat. Quoique ce triste constat soit aussi susceptible d’être fait auprès des députés élus, il se conjugue chez les cooptés avec une intention d’obtention
« par voie de facilité » d’un statut politique honorifique.
D. La cooptation à la lumière de la jurisprudence : Aperçu sur l’affaire chef coutumier Kiri Bauma contre Bazima Bakangu46
Aussi abondante que paraisse la jurisprudence en matière du contentieux électoral en droit congolais de manière générale, celle-ci affiche une tendance plutôt lente et évolutive en ce qui concerne la cooptation. Evolutifs et lents en effet, par ce que sur plan national, les contentieux électoraux relatifs à la cooptation n’ont pas encore atteint l’ampleur dont jouissent de nombreux litiges électoraux portant notamment sur les députés élus, voire les candidats présidents de la République. Du litige « chef coutumier Kiri Bauma » seront dégagées les conséquences sur les rapports entre la cooptation dans les contextes ci-haut décrits, les juges et l’organe chargé de l’organisation des élections.
- Présentation sommaire des faits
En vertu d’une requête introduite à la Cour d’Appel de Goma, le chef coutumier Kiri Bauma, agissant au premier degré, sollicite de la juridiction l’annulation de la cooptation d’un autre chef coutumier, le nommé Bazima Bakangu, du territoire de Nyiragongo dans la province du Nord-Kivu. Face à l’irrecevabilité de la requête prononcée la Cour d’Appel, au motif du défaut de qualité pour sa saisine, étant donné que le nom du requérant aurait été non repris sur la liste des chefs coutumiers sélectionnés aux fins de cooptation, le concerné saisit le Conseil d’Etat (REA 125).
Pour sa part, le Conseil d’Etat déclara la requête recevable et fondée, annulant ainsi la cooptation du chef coutumier Bazima Bakangu en faveur de Kiri Bauma. Devant cette décision, le chef coutumier Bazima introduisit une requête en rectification d’erreur matérielle sous REA 155/125. En dernier ressort, la demande de rectification fut dite irrecevable en raison de non-respect des mentions substantielles47.
- Bref aperçu sur la saisine et son effet
Si la cooptation comme mode d’accession aux fonctions de député provincial échappe à la procédure prévue pour les élections, la résolution des litiges en résultant obéit néanmoins aux mêmes règles. Le délai endéans lequel la juridiction compétente, c’est-à-dire la Cour administrative d’Appel, doit être saisie est de 48 heures suivant la notification des copies du procès-verbal de désignation par la commission électorale indépendante.48
- Cfr Arrêt 155/125 du Conseil d’Etat, Bulletin des arrêts en contentieux électoraux 2006-2007, p. 109.
- Les mentions substantielles dans le cas précis renvoient aux mentions obligatoires qu’une requête devant être déposée en justice doit comporter sous peine d’irrecevabilité. Il est par exemple question des noms des parties et selon le cas, de ceux qui les assistent. Cfr Art. 74 ter de la loi électorale.
- Cfr. Art. 157 de la loi électorale telle que modifiée par la loi n° 17/013 du 24 décembre 2017.
En marge de la question relative au délai, il importe de s’interroger sur l’effet de la procédure sous examen sur le statut de du député copté. Cette question se rapporte, dans les faits, au mérite que présenterait un recours en contentieux de cooptation. Ainsi, la question de savoir si ce recours a un caractère suspensif ou non résulte de l’interprétation de l’article 157 in fine de la loi électorale. Aux termes de cette disposition légale, une expédition de l’arrêt est notifiée à la Commission électorale nationale indépendante, au candidat et au Bureau provisoire de l’Assemblée provinciale.
Il en résulte que le recours en appel en cette matière n’a pas un effet suspensif. En effet, le bénéficiaire d’un arrêt rendu au premier degré siègera valablement jusqu’à la prise de décision devant être rendue en appel contre l’arrêt dont il est bénéficiaire. C’est sur cet aspect qu’apparaît la différence d’avec l’appel en droit commun, qui revêt un caractère suspensif.49
- Réflexions autour des décisions de la Cour d’appel de Goma et du Conseil d’État
sur la qualité du requérant
Comme indiqué dans la présentation des faits, le Conseil d’Etat adopte une attitude tout à fait contraire à celle de la cour d’appel de Goma. Sa position s’éloigne complètement de celle de la Cour d’appel, pourtant basée vraisemblablement sur des motifs légalement justifiables.
Il y a lieu de rappeler que la Cour a relevé le défaut de qualité au près du chef coutumier Kiri Bauma, car ce dernier ne figurait ni sur la liste des chefs coutumiers présélectionnés, ni désignés au niveau du chef-lieu de la province. Il est dans ce cadre légitime de s’interroger sur les conditions à remplir afin de voir sa requête en cette matière aboutir. De la lecture de l’article 157 de la loi électorale, il n’apparaît pas clairement les conditions sous lesquelles une plainte peut être initiée. La loi électorale de 2011 prévoyait en son article 73 notamment les regroupements politiques et le candidat ou son mandataire. C’est donc en s’appuyant sur le droit commun qu’il convient de conclure qu’il s’agit de toute personne ayant un intérêt dans le litige.50
La cooptation obéissant à une procédure particulière, les chefs coutumiers étant apolitiques et par conséquent attachés en aucun parti politique,51 il serait illogique de penser à une plainte devant être déposée par une formation politique quelconque pour aboutir. Bien plus, l’intéressé ici serait logiquement un autre chef coutumier, ayant été préalablement sélectionné par le l’Assemblée des chefs coutumiers mais dont la cooptation aurait échoué à la suite d’une irrégularité dans la procédure légale y relative, de sorte que cette situation profiterait à un autre candidat.
La Cour, confrontée au constat d’après lequel le chef coutumier Kiri Bauma ne fut partie au processus de désignation, et de ce fait pas concerné par la cooptation, ne présentait aucun intérêt susceptible de lui reconnaître ou accorder l’aboutissement de la requête par lui présentée.
Nonobstant cette conclusion de la cour, le Conseil d’Etat se prononça en faveur du chef coutumier Kiri Bauma et annula purement la cooptation de son homologue coopté, Bazima Bakangu.52 Devant cette décision du Conseil d’Etat, il est plausible d’analyser la portée des moyens probants dont le juridictionnel est convié à tenir compte en statuant.
- Cfr. Samir Malanda Mabulu, « les contentieux de cooptation des chefs coutumiers en droit électoral congolais », https:// www.village-justice.com/articles/contentieux-cooptation-des-chefs-coutumiers-droit-electoral-congolais-regard,39534. html consulté le 09.10.2023.
- Voir Jean-Louis Esambo Kangashe, Le droit électoral congolais, Louvain-La-Neuve 2014, p. 157.
- Art. 29. 4 de la loi la loi n° 15/015 du 25 Août 2015 fixant statut des chefs coutumiers.
- Cfr Arrêt 155/125 du Conseil d’Etat, Bulletin des arrêts en contentieux électoraux 2006-2007, p. 109.
Conclusion
En s’appuyant sur l’essence du concept « démocratie » et de sa tendance dynamique dans les contextes socio-politiques congolais, la présente analyse s’est donné pour principale tâche la compréhension de l’option levée par le législateur d’instituer la cooptation à côté des élections comme mode d’accession aux fonctions de député provincial.
Au-delà de simples définitions des concepts « démocratie », « élection » et « cooptation », la première partie, essentiellement théorique, a permis de mettre en exergue les liens entre ces derniers et la légitimité. Il est à admettre, d’un point de vue formel, que les élections se rapprochent beaucoup plus de l’essence originelle de la démocratie au regard de la possibilité qu’elle octroie au peuple de participer directement au choix de ses gouvernants. Parallèlement, il y a lieu de reconnaître que la cooptation reflète un mode tendant à restreindre l’acception de la démocratie sans pour autant s’en dissocier complètement. De toute évidence, au-delà de la portée formelle de ces deux modes d’accession au pouvoir, la satisfaction de l’intérêt général et le respect des principes majeurs caractérisant un Etat de droit, demeurent les objectifs les plus essentiels auxquels les députés élus et cooptés sont appelés à concourir.
La seconde partie du travail a étalé les rapports existants entre les fonctions de député provincial, particulièrement coopté, et la démocratie au renforcement de laquelle les Assemblées provinciales sont aussi conviées à œuvrer. C’est dans la perspective d’une politique de proximité avec les populations locales, renforcée par la nécessité de la sauvegarde des coutumes locales qu’apparaît la portée de la cooptation telle que régie en droit congolais ; c’est-à-dire, un mode d’accession aux fonctions de député provincial assorti d’une condition sine qua non à savoir, revêtir le statut de chef coutumier.
De cette analyse, il est plausible d’arguer que dans les contextes socio-politiques congolais, la cooptation n’est pas négation d’une démocratie inclusive et dynamique. Son institution permet de reconnaître à la législation congolaise le mérite de concilier coutumes et démocratie d’abord, puis coutumes et élections ensuite, de manière à en ressortir un rapport de compatibilité. Afin de garantir une complète réussite de ces rapports de compatibilité et le renforcement de la démocratie, il revient à l’Etat d’assurer le respect de la procédure légale de cooptation, tout comme celle des élections53, de s’assurer de l’indépendance de l’Organe chargé d’organiser les élections et des juridictions devant connaître du contentieux électoral54.
- Voir The carter center, Obligations et normes électorales, Atlanta, 2014, p. 40
- Voir Muhigirwa Rusembuka, « Elections du 28 novembre 2011 en RD Congo : regardons où nous risquons d’aller », Congo-afrique, n° 462, février 2012, p.84.