Nécessité de dépassement et de démocratisation

Par Germain Mbav Yav*

Résumé

La présente contribution a pour but d’offrir aux protagonistes de l’action publique en République Démocratique du Congo les possibilités innovantes de la légistique dépassant les limites juridiques et rédactionnelles habituelles. Elle plaide également pour la démocratisation de la légistique au-delà des assemblées délibérantes et des exécutifs. Car, au-delà de ses aspects juridico-rédactionnels, la légistique peut garantir une meilleure mise en œuvre des lois et leur adaptation aux réalités en constante évolution. Dans un pays où les lois sont appelées à jouer un rôle essentiel dans la gouvernance et la justice sociale, l’extension de cette discipline, au-delà des limites traditionnelles du parlement et du gouvernement, ouvre de nouvelles perspectives.

Elle invite ainsi à explorer les autres aspects factuels de la légistique, en mettant l’accent sur

la mise en œuvre et l’efficacité des lois.

Aussi suggère-t-elle que d’autres acteurs soient non seulement impliqués dans la confection de la législation, mais surtout, qu’ils soient familiarisés aux méthodes et techniques d’élaboration de la loi.

Abstract

The aim of this contribution is to offer the protagonists of public action, in the Democratic Republic of Congo, the innovative possibilities of legislative work that go beyond the usual legal and drafting limits. It also advocates for the democratization of the legislature beyond deliberative assemblies and executives. Because, beyond its legal and drafting aspects, legislation can guarantee a better implementation of laws and their adaptation to constantly changing realities. Thus, in a country where laws are called upon to play an essential role in governance and social justice, the extension of this discipline beyond the traditional limits of parliament and government opens up new perspectives.

It thus invites us to explore the other factual aspects of legislation, with a focus on the implementation and effectiveness of laws. It therefore suggests that other actors should not only be involved in the drafting of legislation but also above all should be familiar with the methods and techniques of law-making.

Introduction

On retient aujourd’hui que la légistique, cette récente et interdisciplinaire démarche, constitue un outil indispensable pour l’amélioration de la qualité de la loi ainsi que la garantie de l’État de droit. Aussi, s’accorde-t-on pour affirmer qu’avec la déliquescence de l’État libéral ou pyramidal, mieux la montée de l’État interventionniste, la tendance est de dépasser les dérives d’un certain belgicisme considérant la légistique comme étant « l’art de rédiger le droit », ou celle se focalisant essentiellement sur les aspects juridico- rédactionnels.

On migre de plus en plus vers la légistique au sens large, mieux, celui de la légisprudence1, mettant un accent particulier notamment sur la légistique matérielle et l’évaluation législative.

On ne niera pas, par ailleurs, qu’autant dans la tradition continentale que dans celle anglo- saxonne, un legs classique et incontestable : seuls les parlements et les gouvernements sont aux manettes de la confection des mesures d’actions publiques. Mais, aujourd’hui, avec davantage l’impératif de la participation citoyenne à l’action publique, on note dans plus d’un pays du monde notamment la montée de la démocratisation de la légistique. Cette démocratisation, ayant notamment pour but de pallier les insuffisances des acteurs des institutions traditionnelles, comme le parlement et le gouvernement, passe par exemple par la généralisation de la formation en légistique au sens large, les recherches, les Guides et les fora sur la législation, le renforcement des Commissions de rédaction, l’évaluation plurielle des politiques publiques et des législations, ainsi que le recours aux organismes participatifs et pluralistes ou aux plates-formes extérieures au parlement ou au gouvernement.

Cependant, en République Démocratique du Congo, la légistique, à la mode depuis des dizaines d’années, est essentiellement présente dans des hémicycles et des commissions permanentes des assemblées délibérantes. Elle est quelque peu exotique dans les us et coutumes des membres et experts des exécutifs, ou des acteurs des groupes thématiques des Organisations de la Société civile ayant des liens directs ou indirects avec certaines lois et politiques publiques. Aussi, est-elle de moins en moins présente dans les cursus et recherches des universitaires du pays. En outre, dans ce pays, cette discipline est de plus en plus usitée dans son sens restreint. Ceux qui l’utilisent sont hantés par le belgicisme précité ou se penchent également davantage sur des aspects juridico-rédactionnels au détriment des aspects factuels de la loi. Autrement- dit, tous lesdits acteurs intervenant dans la confection de la loi, ne sont pas réellement formés à la légistique dans son sens large, ou telle que conçue par un de ces pionniers, en la personne du pénaliste zurichois, Peter Noll. Ils ne sont pas véritablement sensibilisés, conscients ou familiarisés aux méthodes et techniques d’élaboration et d’évaluation des lois.

Peut-on alors dans ces conditions espérer donner des opportunités à la légistique au sens large d’émerger de manière idoine en République démocratique du Congo ? Peut-on réellement arriver à dépasser ledit belgicisme, la perspective dogmatique de la légistique et démocratiser celle-ci ?

Ainsi, la présente contribution a pour ambition, d’abord, de débarrasser les institutions du pays de cette conception inadéquate et atrophiante de la légistique ainsi que de proposer la démocratisation de la démarche. Pour sa bonne compréhension, cette contribution s’articule autour de trois points.

Le premier porte sur la clarification de la notion de la légistique au sens large ou de la légisprudence, en montrant les nuances entre la perspective dogmatique et la légisprudence et en nous focalisant sur son objet, ses ambitions portant essentiellement sur l’amélioration de la qualité de la législation. Le deuxième point planche sur quelques velléités de la productivité législative. Et le troisième propose certaines pistes de l’amélioration de la qualité de loi et de la démocratisation de la légistique en République démocratique du Congo.

  1. La légisprudence est un néologisme préféré aux expressions « légistique » ou « science de la législation ». Le mot « légistique » (« Legistik ») est souvent utilisé dans un sens plus étroit ; l’expression « science de la législation » (« Gesetzgebungssissenschaft ») n’est guère adéquate pour englober aussi les orientations essentiellement pratiques ou pragmatiques de cette approche globale de la législation. Le mot légisprudence correspond bien à l’expression allemande

« Gesetzgebungslehre » et l’analogie sous-jacente au mot « jurisprudence » convient bien à l’objet, aux méthodes et aux champs d’intérêt de la discipline.

I.                   Aperçu sur la notion  de la légisprudence et sur ses corollaires

Il convient dans cette partie de ressortir les nuances conceptuelles et théoriques entre la perspective dogmatique et la légisprudence, en mettant bien évidemment l’accent sur son objet, ses ambitions qui portent essentiellement sur l’amélioration de la qualité de la législation.

A. Perspective dogmatique différente de la perspective légistique

La perspective dogmatique se concentre sur l’analyse et l’étude du contenu des règles de droit. Elle vise à identifier les principes et les concepts fondamentaux qui guident l’interprétation et l’application des lois. Il convient de relever que bien qu’elle englobe également d’autres aspects tels que la doctrine juridique, la législation et la jurisprudence, l’activité judiciaire demeure une partie importante du système juridique. En effet, la théorie du droit a été, et l’est encore, presque exclusivement axée sur l’activité judiciaire ou la jurisprudence, et beaucoup moins sur la législation.

Dans cette perspective, le droit est essentiellement appliqué par le juge, par toutes sortes d’agents administratifs et partiellement par des particuliers. Le rôle du juge dans la perspective dogmatique ou juridique est de mettre en pratique la lettre du texte écrit, tel qu’il a été conçu par le législateur. Il n’est que « la bouche qui prononce les paroles de la loi »2, pour ne pas citer la célèbre expression de Montesquieu.

Le point de départ d’une réflexion juridique à laquelle il faut donner une réponse est une situation de fait. Par rapport à cette dernière, les juristes cherchent la règle juridique qui lui est applicable, c’est-à-dire la règle de droit pertinente par rapport à la situation de fait. Ce qui suppose « un raisonnement à la fois déductif, axiomatisé et formalisé » 3. Cette perspective porte sur la vérification de la qualité juridique en s’appuyant essentiellement sur l’application des principes constitutionnels à la loi elle-même, sur le développement du contrôle de constitutionnalité des lois, ainsi que sur les techniques d’insertion et de contrôle du respect du droit international, etc.

En conséquence, la perspective dogmatique s’appesantit « exclusivement sur la phase d’application des textes légaux. Elle se désintéresse de la phase de création des normes qui, sous réserve de la conformité aux règles de rangs supérieurs, est conçue comme une phase purement politique »4. « Pour les juristes, d’abord préoccupés par le texte normatif et sa lecture jurisprudentielle, »5« la production législative constitue une boîte noire de peu d’intérêt et qui relève de la politique plutôt que de la science du droit »6. « Ce désintérêt trouve son origine dans le positivisme juridique qui confine la science du droit à la méthodologie d’application des normes en vigueur »7.

  • Mader Lucius, « Législation et légisprudence », In Contributions à l’action publique, (dir) Jean-Loup Chapelet, 2006, p.

198. On retrouve également cette formule dans le fameux Chapitre V (La Constitution d’Angleterre).

  • Charles Albert Morand, “La méthode législative ou la rationalisation de l’action finalisée de l’État”, In LeGes 1990/1,

p. 37.

  • Charles Albert Morand, op.cit, p. 38.
  • Peter Noll et al, « La conception des lois : la démarche légistique entre théorie et pratique. », In Delley, Genève : CETEL, 2009, 103 p.
  • Charles Albert Morand, op.cit, p. 39.
  • Delley et al, La conception des lois : la démarche légistique entre théorie et pratique, Genève : CETEL, 2009, 103 p.

Notons toutefois qu’au-delà du « mode de raisonnement analytique, linéaire et déductif caractéristique de la logique juridique […] s’oppose un raisonnement synthétique, systémique et téléologique, qui permet de mieux appréhender la complexité du réel, donc favorise l’eficacité de l’action »8 : il s’agit de la perspective légistique ou « légisprudentielle » ou encore de la légisprudence.

  1. La légisprudence comme lieu de secours de la perspective dogmatique

Peter Noll, ce pénaliste zurichois et pionnier de la légistique au sens large9, plaide pour une approche méthodique et pluridisciplinaire de la législation inspirée par une rationalité planificatrice10. C’est dans ce sens que la légisprudence a résulté notamment de « l’obligation de planifier le projet de législation… ».11

La légisprudence établit, à cet effet, les principes méthodiques permettant à ceux qui préparent un texte légal d’analyser une réalité sociale complexe afin de trouver une solution à un problème de société et d’apprécier les effets produits par la législation adoptée. Elle repose sur des ambitions qui « impliquent une approche rationnelle de l’action publique : une connaissance précise du terrain d’intervention, de sa logique de fonctionnement, un diagnostic explicite de la situation qui met en évidence non seulement le but poursuivi, mais encore les objectifs qui le concrétisent, l’élaboration d’une stratégie eficace, son évaluation aussi bien prospective que rétrospective et, le cas échéant, les corrections qui s’imposent. »12

Ainsi, loin de demeurer dogmatique, la légistique envisage l’action et des effets sur le vécu des citoyens. Elle est un processus reposant sur une action finalisée, volontariste, destinée à résoudre un problème et à rationaliser le processus de formation et de mise en œuvre de la loi.

  • La légisprudence : un domaine plutôt interdisciplinaire que juridique

La légistique relève, mieux, est née à la frontière du droit. Mais attention, elle n’est pas exclusivement juridique. Même si la dogmatique lui offre tant d’éléments, « la légistique dépasse le cadre étroit du juridique. Elle porte tout autant sur l’agencement des politiques publiques que sur les textes de lois »13. Elle n’est pas un domaine exclusif des juristes, même si ces derniers, au-delà de syllogistique juridique, maîtrisent traditionnellement, par essence, des techniques législatives. En effet, les juristes, à quelques exceptions près, sont essentiellement outillés à appliquer et à interpréter la législation plutôt qu’à la fabriquer. Par ailleurs, le travail plutôt de mise en œuvre que de mise en forme de normes n’est pas mieux effectué que par des juristes vue la complexité des domaines de la législation, surtout pour celle ayant la fonction de pilotage.

De manière concluante, la légisprudence, loin de viser les avocats, notaires ou magistrats ainsi que des politologues prestant en dehors de la fabrication des normes, pour ne citer que ces derniers, concerne plutôt toutes les personnes qui participent aux travaux législatifs (les légistes), mieux à fabriquer la législation, partant de la conception, en passant par la rédaction, l’adoption jusqu’à la mise en œuvre, voire l’évaluation et la correction.

  • Jean Chevallier et Daniel Lochak, « Rationalité juridique et rationalité managériale dans l’administration française », In Revue française d’administration publique, n° 24, octobre/décembre 1982, p. 58.
  • Il va contribuer à populariser la légistique dans son célèbre Traité de Légistique, paru en 1973.
  • Alexendre Flückiger, Les racines historiques de la légistique en Suisse ; Séminaire Commission européenne, 19 octobre

2007 – Bruxelles, p.26

  1. Mader Luzius, L’évaluation législative, Pour une analyse empirique des effets de la législation, Payot, Lausanne, 1985,

p. 81.

  1. Alexandre Flückiger, op.cit, p.14.
  2. Charles Albert Morand, op. cit. p. 36.

Qui plus est, la légistique s’est développée « aux frontières du droit et de plusieurs autres disciplines scientifiques, notamment des sciences sociales (sciences politiques et administratives, sociologie, sciences économiques, etc.) et de la linguistique.»14 C’est en ce sens que « Geny avait le dessein de rattacher le droit aux autres sciences sociales, spécialement à l’économie et à la sociologie, afin de déterminer l’intention du législateur15 Par ailleurs,

« visant à rationaliser la production normative, la légistique prend appui sur les sciences sociales pour appréhender la réalité et sur les sciences de la communication et du langage pour formuler les normes.»16

En effet, la science politique, la psychologie et l’économie contribueront au développement de la légistique. On ne peut pas non plus oublier le grand apport du management. Car, « si la légistique formelle renvoyait au savoir du juriste, la légistique matérielle prend en compte des compétences qui relèvent de plus en plus des techniques managériales. »17 Pour Flückiger,

« les juristes n’ont plus le monopole de la fabrication de la loi ni de sa mise en œuvre; le point de vue interdisciplinaire de la légistique en témoigne »18.

Ainsi, donc, la légistique, au sens large, n’est donc pas du tout spécifiquement juridique et « n’est donc nullement réservée aux juristes, même si on peut admettre sans autre que les juristes (d’ailleurs tant des publicistes que des privatistes et des pénalistes) ont donné des impulsions nécessaires à sa genèse et continuent à contribuer de façon décisive à son développement.»19 Elle se propose de dépasser la fragmentation qui résulte des barrières érigées entre les sciences sociales et le droit. D’emblée, elle se veut donc interdisciplinaire20.

Des domaines d’intervention de la légistique

Au-delà de ces avertissements, nous mettons encore en garde sur le fait que la légistique, au sens large, ne relève aucunement de l’art. François Gény estimait, déjà en 1904, « qu’une technique législative réfléchie l’emportait sur les vagues suggestions de l’instinct et les directions indéterminées de la tradition : il s’agit, avant tout, de savoir s’il est bien nécessaire, voire même utile, que le législateur prenne conscience d’une méthode, dont il soit résolu à suivre fidèlement les directions, ou s’il ne serait pas mieux qu’il s’en remît tout simplement aux vagues suggestions de l’instinct ou aux directions indéterminées de la tradition, pour lui inspirer les procédés les plus adéquats à son but. »21 Et pour Ripert, « la législation devrait passer du régime de la fabrication artisanale à celui de la grande industrie et des produits faits en série ».22

Conséquemment, on distingue classiquement la légistique matérielle et la légistique formelle

; l’une s’intéresse au fond (contenu), l’autre à la forme (contenant). La légistique matérielle est « une élaboration méthodique de la législation »23 . Elle « est là pour éclairer le législateur dans le choix des options législatives les plus appropriées pour résoudre au mieux un problème de société »24.

  1. Charles Albert Morand, idem, p.37.
  2. Jean-Pierre Duprat, « Genèse et développement de la légistique », in Drago Roland (dir.), La confection de la loi, Paris, PUF, 2005, p.27.
  3. Alexandre Flückiger, op.ci, p.47.
  4. Jean-Pierre Duprat, op.cit., p. 33.
  5. Luzius Mader, « Législation et légisprudence », In Contributions à l’action publique, (sous-dir) Jean-Loup Chapelet, 2006, p. 198.P. 625
  6. Luzius Mader, op.cit, p. 198.
  7. Luzius Mader, Idem, p. 5.
  8. Alexandre Flückiger, op.cit, p.14.
  9. Jean-Pierre Duprat, Op.cit., note 30, p. 12
  10. Charles Albert Morand, Les exigences de la méthode législative et du droit constitutionnel portant sur la formation de la législation, in Droit et société, n° 10, 1988, p. 391.
  11. Alexandre Flückiger, Les racines historiques de la légistique en Suisse, Séminaire Commission européenne, 19 octobre

Elle porte sur le contenu de la matière à réglementer et la manière de concevoir l’action normative, c’est-à-dire à ce qui est concrètement décidé par le législateur. La légistique formelle, quant à elle, traite de la mise en forme ou de l’expression de l’intervention normative. Elle « contribue à communiquer le scénario régulatoire retenu en un texte clair »25 et s’intéresse au contenant de la loi, c’est-à-dire son enveloppe linguistique ou sa qualité rédactionnelle.

Sous un autre registre, la légistique au sens large approche la législation notamment sous quatre angles ou quatre principaux aspects qui caractérisent le travail législatif, à savoir :

  • le déroulement sous l’angle institutionnel ou de la procédure législative : phase préliminaire ou pré-parlementaire (impulsion, avant-projet, procédure de consultation, évaluation ex ante) ; phase parlementaire (débat, amendement, rédaction, adoption) ; phase post-parlementaire (promulgation, mise en œuvre, évaluation rétrospective, etc.) ;
  • la gestion du projet (mandat d’élaborer le projet, planification, etc.) ;
  • le cycle de résolution des problèmes : Il s’agit d’un processus appliqué pour résoudre les problèmes complexes. Le modèle théorique de la légistique découpe le processus de création de la loi en plusieurs étapes présentées qui peuvent être chronologiques ou itératives. Il propose, pour chacune de ces étapes, des techniques propres à en optimiser le déroulement et le produit ; à savoir la définition du problème, la détermination des buts et objectifs, le choix des instruments d’action. S’il faut nous focaliser sur le caractère itératif du cycle, nous dirons que les quatre étapes peuvent être parcourues plusieurs fois pour arriver à une conclusion plausible ;
  • enfin, la rédaction proprement dite des normes.

Aussi, la démarche se rattache-t-elle notamment aux termes de la « sociologie législative empirique », de la « science ou de la théorie de la législation », de la « procédure législative », de la « méthodologie législative », de la « technique législative » 26 ou de la notion de

« légisprudence ».

  1. La légistique : « une approche globale de la législation »

Plutôt que d’être « insulaire », la légistique repose sur « une approche globale de la législation

». Cette nouvelle discipline vise à réaliser une approche globale du phénomène législatif. Elle est « une méthode aux contours vastes »27. Plutôt que d’être linéaire, la légistique implique un raisonnement systématique et cybernétique. La légistique se penche sur un processus législatif allant de la genèse à la mise en œuvre de la loi. Ce processus législatif « peut être présenté comme un système, c’est-à-dire comme une unité globale organisée d’interrelations entre éléments, actions, ou individus »28. Pour Morand, la perspective légistique « facilite tout particulièrement l’approche globale et la compréhension du phénomène législatif29 Elle « porte sur toute la phase de production et d’application des normes dans un processus sans fin d’adaptation de ces normes à une réalité sociale mouvante »30 ainsi que « sur les interactions entre le droit et la société. Elle a trait à l’analyse des faits sociaux qui doivent être pris en considération dans le cadre de la genèse d’un texte légal.

2007, Bruxelles, P.39

  • Alexandre Flückiger, op.cit, p.42.
  • Mader Luzius, Op. cit. note 5, L. Mader, L’évaluation législative, Pour une analyse empirique des effets de la législation,

Payot, Lausanne, 1985, p. 18

  • Charles Albert Morand., “La méthode législative ou la rationalisation de l’action finalisée de l’État”, In LeGes 1990/1,

p. p. p. 35.

  • Charles Albert Morand, op.cit, p. 38.
  • Ibid.
  • Charles Albert Morand, idem, p. 39.

Elle développe par ailleurs les principes servant à évaluer les effets des normes prévues par

ces textes sur la réalité. »31

On ne le dira jamais assez, de manière pratique, la légistique au sens large « a conféré une importance grandissante à la légistique matérielle, (…) qui trouve aujourd’hui écho dans l’essor de l’évaluation législative notamment. »32. L’évaluation législative constitue une importante composante de la légistique et peut prendre diverses formes. On a certes coutume de renvoyer l’évaluation législative à la tâche de surveillance et de contrôle de l’exécution ou des effets des lois. Cependant, la doctrine voudrait qu’elle soit comprise comme un exercice d’apprentissage, tant lors de la phase pré-parlementaire que celle post-parlementaire ou de mie en œuvre. Elle peut, à cet effet, être hypothétique dans le premier cas (évaluation ex ante)

, et empirique dans le second ( évaluation ex post).

Elle est une démarche au-delà de l’évaluation juridictionnelle de régularité ou de conformité. Aussi, se distingue-t-elle de l’évaluation spontanée et impressionniste des effets ainsi que des diverses autres formes de contrôles étatiques, lesquelles valent aussi leur pesant d’or.

  • Qualité législative selon la légisprudence

La légistique au sens large insiste certes sur la qualité de la loi. Que faut-il alors entendre par une « bonne » qualité de la loi ? Quelles doivent en être les caractéristiques selon la légisprudence ?

Parmi tant d’autres étalons, l’Union européenne offre un bon panorama, selon l’Accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 16 décembre 2003 et, pour l’aspect plus spécifiquement rédactionnel et l’Accord interinstitutionnel sur les lignes directrices communes relatives à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire du 22 décembre 1998 ». Ces Accords distinguent de manière schématique trois types de critères essentiels de la qualité de loi, à savoir les critères juridiques, les critères factuels et les critères rédactionnels.33

Les critères juridiques découlent de la légitimité démocratique, des principes de subsidiarité et de la proportionnalité, de la sécurité juridique et de la transparence du processus législatif.

Les critères factuels, c’est-à-dire ceux qui permettent d’examiner la capacité de la loi d’agir sur les faits, sont l’eficacité mesurée par l’évaluation, et la simplicité de l’action étatique. Ils peuvent s’expliquer au travers des objectifs assignés, du contenu (droit matériel), des besoins et attentes de la société.

Les critères de qualité rédactionnelle sont la clarté, la simplicité et la cohérence ainsi que la

concision, la précision et la réduction du volume de la législation.

  • Ibid.
  • Alexandre Flückiger, Les racines historiques de la légistique en Suisse, Séminaire Commission européenne, 19 octobre

2007 – Bruxelles, p. 18.

  • Ces critères de l’Union Européenne peuvent être éclatés en six par les institutions helvétiques, à savoir la conformité au droit, la genèse dans le respect des règles procédurales, la qualité matérielle, la qualité formelle, la dimension quantitative limitée aux règles nécessaires et la dimension temporelle basée sur la stabilité et la mutabilité. Aussi, dans le Document législatif n° 1-643/1 du Sénat du Royaume de Belgique, souligne-t-on les dix commandements qui font autorité en matière de « bonne législation ». Ces dix commandements consistent en trois critères de nature purement juridique (sécurité juridique, égalité juridique et administration individualisée de la justice) ; cinq critères mixtes juridico-socio- scientifiques (principe du juste niveau, précision de l’objectif, applicabilité, nécessité et proportionnalité de l’effet) et deux critères socio-scientifiques (effectivité et efficacité, effet social).

II.                 Des velléités de la démarche légistique en République Démocratique du

Congo

La démarche légistique en République Démocratique du Congo rencontre des difficultés qui ne rendent pas aisées son application. En partant des mécanismes aux stratégies de conception et d’exécution des lois, ces dernières restent par ailleurs denses mais assez souvent avec moins d’impact sur la société qu’elle régule.

A.     Des mécanismes de production des lois

Subsidiairement à la doctrine et aux us et coutumes en matière de législation, la République Démocratique du Congo consacre au travers de sa Constitution et de quelques textes réglementaires, notamment les mécanismes légistiques suivants pour l’amélioration de la qualité des lois :

  • L’initiative des lois (proposition ou projet de loi, amendement ou révision) appartenant concurremment au Gouvernement et à chaque élu34 ;
    • la procédure législative impliquant autant le pouvoir exécutif que législatif. Particulièrement les membres du Gouvernement ont accès aux travaux de l’Assemblée parlementaire ainsi qu’à ceux de leurs commissions. S’ils en sont requis, les membres du Gouvernement ont l’obligation d’assister aux séances de l’Assemblée, d’y prendre la parole et de fournir aux parlementaires toutes les explications qui leur sont demandées sur leurs activités35 ;
    • la notification pour information d’une proposition de loi (initiative d’un élu) au Gouvernement pour ses observations éventuelles de celui-ci, dans les 15 jours suivant la transmission36;
    • les instruments de contrôle et d’information37 dont disposent les élus, particulièrement sur la législation ;
    • les autres passerelles entre les pouvoirs exécutifs et législatifs ;
    • les nouvelles délibérations de la loi à la demande du Président de la République38 ;
  • Article 130, Constitution du 18 février 2006 pour le pouvoir central et article 33 de la Loi n° 13/008 du 22 janvier 2013 modifiant et complétant la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, pour les provinces l.
  • Article 131, Constitution du 18 février 2006.
  • Article 130, Constitution du 18 février 2006.
  • Ces instruments sont énoncés dans l’Article 138 de la Constitution du 18 février 2006 qui stipule :

Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, les moyens d’information et de contrôle de l’Assemblée nationale ou du Sénat, sur le Gouvernement, les entreprises publiques, les établissements et services publics sont :

  1. la question orale ou écrite avec ou sans débat non suivie de vote ;
  2. la question d’actualité ;
  3. l’interpellation ;
  4. la commission d’enquête ;
  5. l’audition par les Commissions.

Ces moyens de contrôle s’exercent dans les conditions déterminées par le Règlement intérieur de chacune des Chambres et donnent lieu, le cas échéant, à la motion de défiance ou de censure, conformément aux articles 146 et 147 de la présente Constitution.

  • Art 137 Cst

Dans un délai de quinze jours de la transmission, le Président de la République peut demander à l’Assemblée nationale ou au Sénat une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. Le texte soumis à une seconde délibération est adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat soit sous la forme initiale, soit après modification à la majorité absolue des membres qui les composent.

  • l’habilitation du gouvernement à prendre par ordonnances-lois, pendant un délai limité et sur des matières déterminées, des mesures étant normalement du domaine de la loi39 ;
  • l’intervention des services de normalisation dans chaque ministère ;
  • l’apport technique des experts nationaux et internationaux ;
  • les auditions ou consultations des bénéficiaires ;
  • le bicamérisme permettant d’avoir beaucoup d’opinions et d’améliorer la qualité de la loi ;
  • la répartition des compétences (niveau central et niveau provincial) en tant que facteurs d’amélioration de la qualité de la loi, des procédures législatives ;
  • les travaux en Commission ou en Plénière au Parlement ;
  • les panels de réflexion organisés par le Gouvernement, portant sur une législation donnée;
  • l’accompagnement des élus par le Bureau d’études et les assistants ;
  • le contrôle de constitutionnalité des textes ;
  • la révision des lois qui posent problème;
  • la mise en œuvre de différentes législations au travers notamment de la réglementation ;
  • les arrêts et jugements des cours et tribunaux ;
  • la Commission Permanente de Réforme du Droit Congolais (CPRDC) du Ministère de la Justice et Droits Humains ;
  • l’effort de codification des lois et règlements ;
  • les multiples reformes au sein des institutions ;
  • l’élaboration des politiques publiques sectorielles et des plans et schémas directeurs etc.

En somme, ces efforts sont louables. Mais, ils restent timides et méritent d’être revus à la hausse pour qu’ils influent positivement et considérablement sur la qualité de la loi. Aussi, faut-il que, du point de vue de la légistique, ils soient systématisés, codifiées et fassent l’objet d’une sensibilisation accrue.

B.      De la critique récurrente de ces mécanismes

La République Démocratique du Congo, à l’instar de plusieurs pays du monde, est l’objet concomitamment des normes de haute facture rédactionnelle et d’une « législation en crise»40. En dépit d’une attention soutenue sur la qualité juridico-formelle, la démarche légistique, au sens large, semble étrangère à la République Démocratique du Congo. Sans être exhaustif, nous pouvons étayer cette affirmation par les cinq (5) éléments majeurs, à savoir :

  • la procédure législative où la démarche méthodique de la législation semble étrangère;
    • la formation en légistique est essentiellement basée sur les aspects formels;
    • il y a confusion entre la productivité et la qualité de la loi ;
    • la mise en œuvre et les effets des lois demeurent les cadets des soucis du législateur ;
  • Art 129 Constitution.
  • Nous avons emprunté les expressions d’Alexandre Flückiger, notamment les expressions utilisées par A. Viander, Valérie Lassere-Kiesow, Roland DRAGO et par Bertrand Marthie etc., Alexandre Flückiger, « Qu’est-ce que mieux légiférer Enjeux et instrumentalisation de la notion de qualité législative », p 12, in Guider les parlements et les gouvernements pour mieux légiférer, le rôle des guides légistiques (dir) Flückiger Alexandre et Eucabert Christine-Guy, Schultess, 2008.
  • les révisions et les amendements législatifs sont susceptibles de démanteler le projet initial.
  • La procédure législative ou la démarche méthodique de la législation semble

étrangère

Par procédure législative, nous entendons, comme susmentionné, la phase préliminaire ou pré-parlementaire (impulsion, avant-projet, procédure de consultation, évaluation ex ante) ; la phase parlementaire (débat, amendement, rédaction, adoption) ; la phase post-parlementaire (promulgation, mise en œuvre, évaluation rétrospective, etc.)

Le processus législatif tel que vécu en République Démocratique du Congo, sans bien sûr exclure quelques performances ci-haut énumérées, ne fait pas l’objet d’une analyse et démarche méthodique et orthodoxe dans le chef du législateur, du chercheur et de l’Exécutif pour sa rationalisation et son assise sociale. Il n’est systématiquement pas lié aux 4 aspects entrant en compétition (déroulement sous l’angle institutionnel, la gestion du projet, le cycle de résolution des problèmes, la rédaction proprement dite) pour que la loi soit efficace ou de bonne qualité.

Nous pouvons fustiger, à cet effet, notamment ce qui suit :

  • l’absence ou la quasi-inexistence des normes portant sur la réglementation du processus préliminaire ;
    • l’absence de la définition exacte des acteurs (service, experts, cabinets etc.) dans la

phase de la conception et de la rédaction de l’avant-projet ;

  • la transmission des projets sans rapport ni note, moins encore un message au Parlement ou à l’Assemblée provinciale dans la plupart des cas (les élus se contentent de l’exposé des motifs, des éclaircissements verbaux des experts lors des travaux en commission) ;
    • silence sur l’opportunité ou l’obligation des consultations des bénéficiaires, ou l’importance des travaux mixtes avec d’autres Ministères ou services. Aucun texte ne dit si le gouvernement peut recourir à telle ou telle expertise en cas de besoin ;
    • appropriation des avant-projets par les organismes internationaux ;
    • absence des règles et des standards sur l’évaluation législative ex ante et ex post ;
    • absence des démarches et des textes portant sur le cycle des problèmes et la gestion du projet ;
    • non-maitrise, par la majorité des Congolais, voire des agents de l’État, de la législation du pays, même dans les domaines où ils sont censés maitriser l’essentiel.
  • La formation en légistique basée essentiellement sur les aspects formels

Rappelons que la légistique, en tant que concept, a commencé à faire florès et à être davantage usitée dans les assemblées délibérantes de la République Démocratique du Congo lors du Gouvernement un plus quatre, mieux vers les années 2000.

En effet, après les Accords de Sun city ou l’installation des institutions sous le régime de « un plus quatre », quelques actes de tâtonnement de formation et d’application de la légistique ont été entrepris au niveau du « Parlement de la Transition ». C’est sous l’impulsion et l’appui de quelques organismes internationaux et partenaires du Parlement national, notamment le PNUD, l’AWEPA, l’Union européenne, le DAI /USAID, la Belgique et la France, que certains parlementaires congolais et fonctionnaires des Bureaux d’Études de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été formés à la légistique. Ainsi, une conscience d’améliorer la qualité rédactionnelle et juridique selon la démarche légistique a été constatée dans le chef de quelques membres du parlement national.

Aussi, certains parlementaires et cadres de ces assemblées délibérantes ont bénéficié de

quelques ABC de la légistique de la part de leurs homologues de pays étrangers.

Signalons également qu’à l’aube de la troisième République, un engouement pour le renforcement des capacités des Assemblées provinciales a été constaté dans le chef de ces partenaires internationaux. Le renforcement des capacités sur la légistique n’est pas omis. On peut dire que chaque Assemblée provinciale a connu au moins une formation en légistique. Parmi les organismes d’appui, on peut citer le PNUD ayant utilisé ses experts et ceux du parlement national et de l’université, l’AWEPA, le PAP Union européenne, le DAI/ USAID, la Westminster Fondation for Democracy. A ces efforts, on peut aussi ajouter ceux du Réseau Congolais de Personnels des Parlements.

À ces séances de formations, ont été associés timidement quelques membres des exécutifs et des organisations de la société civile. Curieusement, ces formations en légistique se sont montrées courtes et éparses, outre qu’elles se sont surtout focalisées sur la dimension rédactionnelle.

Concernant les scientifiques, nous dirons qu’à part un éveil de conscience dans certaines universités ou facultés de droit de la place, comme c’est le cas à l’université de Kinshasa41, à l’université catholique du Congo et à l’Institut Supérieur d’Etudes parlementaires où on organise des Cafés légistiques et des formations continues en la matière42, nombreuses des universités ne semblent guère se préoccuper de ce domaine. En effet, les universités congolaises, dont les facultés de droit ou des sciences sociales et économiques, n’ont pas encore, dans la plupart des cas, pris conscience de l’insertion de la légistique dans leurs programmes de cours ou de recherche.

On pourrait peut-être comprendre que ce fait est lié à l’angle de vue de divers chercheurs. Ce désintérêt trouve notamment son origine dans une certaine et autonome conception du système juridique qui confine la science du droit à la méthodologie d’application et d’interprétation des normes en vigueur ainsi que de la jurisprudence. Largement intériorisée tant par les gouvernants que par les gouvernés, cette conception a traditionnellement dominé et domine souvent encore. Elle est la manifestation d’une conception dogmatique et mécanique de la législation, se souciant peu des effets de la loi sur la société, comme nous cesserons de le répéter.

  • Confusion entre productivité et qualité de la loi

En général, le législateur congolais confond la productivité des lois avec la qualité de celles- ci. Il n’est pas rare d’entendre les membres de l’Exécutif, ou de mandat politique, exprimer ainsi leurs propres opinions sur les bilans :

« Notre bilan est positif dans la mesure où nous avons soumis au Parlement autant de projets de loi ou d’édits » ;

« Nous avons bien travaillé pour avoir permis à l’État de disposer d’autant de textes réglementaires ».

Particulièrement, les élus peuvent, à la fin de la session parlementaire, de la législature, arborer

: « Nous pouvons nous féliciter d’avoir proposé ou voté autant de lois ».

  • Instauration du cours de légistique.
  • Il faut aussi ajouter que l’Institut Supérieur d’Études Parlementaires dispose, en plus de son centre de recherche en études parlementaires, d’un Centre d’Analyse, Conception, Suivi et Evaluation des Lois et Politiques publiques, CACSELP-ISEP.

On dirait que ces politiques étaient trop satisfaits d’une abondante production législative,

« que toutes les lois paraissaient faites et bien faites, et pour longtemps, il était possible de donner congé à la législation. Mais ce serait s’arrêter à la surface de l’événement, »43 s’il faut s’exprimer à la manière du Doyen Jean CARBONNIER.

Les élus congolais peuvent et tout d’abord être influencés par le fait de vouloir justifier, aux yeux particulièrement des électeurs, qu’ils accomplissent bien les exigences de leurs mandants électoraux. Par ailleurs, c’est peut-être cette culture contemporaine influencée par cette obsession de la productivité qui les hante. Car, « la loi est tombée au niveau des vicissitudes banales de la production législative. Une production qui s’est industrialisée, standardisée, et dont les produits finis s’ajoutent et s’intègrent sans relâche au stock de textes du Journal Oficiel… Là, comme dans tout secteur industriel : productivité fait loi. »44

Certes, il est spectaculaire de présenter un bilan dressant une grande productivité législative au cours d’une session parlementaire, de législature ou d’un mandat politique. Faudrait-il dès lors s’en enorgueillir ?

À propos, Léon KENGO WA DONDO, ancien Président du Sénat de la République démocratique du Congo, n’avait-il pas vu juste quand il invitait notamment les Sénateurs à jeter un regard rétrospectif sur l’application des lois et à se demander si, avec le volume et la pertinence des lois votées, ils ont atteint les objectifs assignés ?45

Sans certes se flatter du score de 250 lois votées par le Sénat après 11 ans, il souligne que « dans l’afirmative, les acquis doivent booster davantage nos efforts pour plus de performance. Dans la négative, nous avons le devoir d’identifier les faiblesses et les causes de l’enlisement, pour une recherche positive des pistes de solutions. Dans cette optique, il n’est pas superflu de nous demander si le mal ne se situe pas au niveau de l’application des lois votées. » À cet effet, il évoque successivement l’inventeur Thomas EDISON et le Procureur Général Maurice AYDALOT qui affirment respectivement que : « La vision sans réalisation n’est qu’hallucination » ; « Les textes non appliqués n’ont comme ressource que de peupler le cimetière des lois non exécutées. Il en est de même des textes mal appliqués, puisqu’ils n’atteignent pas l’objectif poursuivi par le législateur ». 46

  • La mise en œuvre et les effets des lois : les derniers des soucis du législateur

Disons à priori que la loi en République Démocratique du Congo, dans son élaboration ou en tant que produit, pose problème. Ce problème n’est pas d’ordre juridico- rédactionnel, mais plutôt et essentiellement lié à sa conception (la manière dont elle est élaborée), à sa mise en œuvre et à ses effets. La loi, dans la plupart des cas, n’est pas du tout mise en œuvre et ne produit pas les effets escomptés. De manière condescendante, tout le monde s’en plaint, même le décideur, étrangement !

Qu’on pense à toutes ces nombreuses lois vouées à l’inapplication et sans effets dont certaines, quand elles sont effectivement mises en œuvre, produisent des effets pervers. Donc, bien de législations ne produisent pas toujours les effets voulus par le législateur, soit parce qu’elles sont détournées ou mal appliquées, soit parce que les objectifs sont ambigus ou vagues. Le législateur peine parfois à décoder certaines demandes sociales, et en assure dès lors une

  • Jean Carbonnier, Essais sur les lois, Paris 1979, p. 219. Référencé par FLÜCKIGER A., op. Cit. note 8, p. 5.
  • Kiessow Valérie LASSERRE, « La technique législative », In Confection de la Loi, Académie des sciences morales et politiques (dir), In Drago Roland ; Rapport d’étape, mars 2003, p. 89
  • Léon Wa Dondo Kengo, Allocution du Président du Sénat à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire de mars 2018, site du Sénat de la République démocratique du Congo http://www.senat.cd, (page consultée le 30 mars 2018)
  • Léon Wa Dondo KENGO, op.cit, site internet du Sénat de la République démocratique du Congo http://www.senat. cd, (page consultée le 30 mars 2018)

transposition législative inappropriée.

Il n’y a pas de doute que les élus congolais, dans leur majorité et parfois de manière désinvolte, soient conscients de cette maladresse collective des lois qui sont encore loin d’être exécutées et de produire des effets escomptés. Cependant, enclins à une méthode législative approximative dans leurs travaux parlementaires et en dépit de tous ces changements au niveau du management public des instruments internationaux et des défis nationaux, les élus ne perçoivent pas encore l’impérieuse nécessité d’apporter des solutions aux lois. Ils ne sont donc pas rendus sensibles à la capacité de la légisprudence, mieux de la légistique matérielle ou de l’évaluation législative de compléter les déficits des lois axées essentiellement sur la qualité juridico-rédactionnelle.

  • Des révisions et amendements législatifs susceptibles de démanteler le projet initial

Un défaut majeur et généralisé réside précisément dans le fait que, trop souvent le législateur ou les experts au gouvernement et ceux qui accompagnent les Parlementaires dans le cadre d’un projet ou d’une proposition de loi « se mettent à formuler des dispositions légales ou réglementaires avant même d’avoir des idées précises sur le contenu normatif. » 47 On dirait que le législateur jouait au puzzle. C’est une hantise qui ne concerne, mais hélas, pas seulement le législateur congolais.

L’élu ne se dispense malheureusement pas de faire des amendements ou révisions, si ce n’est pas en des termes sans assise sur le matériau social, mais plutôt avec désinvolture, outrecuidance. Sans outil d’évaluation digne de ce nom, il entretient un excès de confiance en soi ou la présomption de connaissance. Ce qui le pousse de temps en temps à ignorer le vrai problème qui est à la base d’une législation, ainsi que les objectifs, les moyens et les méthodes devant en présider l’élaboration ou l’amendement à proposer.

A ce sujet, Alexandre Fluckïger évoque Alain Berset48, ce politique suisse, et plus d’une fois Président de confédération suisse, qui avait vu vrai en soulignant que la question des amendements restait aujourd’hui un sujet de controverse pour décrire les aléas que la phase parlementaire faisait subir à un texte longuement pensé et soigneusement rédigé par le gouvernement et son administration. En effet, Alain Berset écrivit : « j’ai vécu des cas assez difficiles où il fallait se mettre au coin d’une table, prendre un bout de papier et un crayon et puis tenter de rédiger un amendement. […] Cela conduit évidemment parfois à des situations un peu particulières par exemple à un affaiblissement ou à une péjoration assez nette des textes, mais avec un but politique, qui est de faire bouger le Gouvernement, de faire bouger l’administration pour pouvoir aller dans le sens que l’on souhaite. Cela peut aussi donner parfois l’impression de processus assez arbitraires si l’on ne comprend pas dans les détails ce qui se passe. »49

III.              Leçons à tirer : Défi d’une infrastructure légistique conséquente

Face à ces vieillîtes qui rendent presqu’inefficace la loi, il sied de tirer quelques leçons aux fins de l’amélioration d’une infrastructure légistique conséquente en République Démocratique du Congo.

  • Luzius Mader, op.cit, p. 200.
  • Alexandre Flückiger, (Re)faire la loi : traité de légistique à l’ère du droit souple. Berne : Stämpfli, 2019, P. 126
  • Alain BERSET, « Ciel, le Parlement a démantelé mon projet de loi ; les aléas de la phase parlementaire », in : Flückiger/ Guy-Ecabert (éd.), Guider les parlements et les gouvernements pour mieux légiférer, Genève, 2008, p.142

A.     Prise de conscience des vrais contours de l’élaboration des lois et de leur qualité

À la lumière de ce qui précède, on constate d’emblée que le souci de la clarté des lois et un regain d’intérêt à la légistique ne sont certes pas à nier en République Démocratique du Congo. Cependant, les vrais contours de l’élaboration des lois, avec accent sur leur qualité, demeurent un défi.

En effet, dans la plupart des cas, par manque d’une culture légistique adéquate notamment, les acteurs institutionnels ne comprennent pas pleinement les implications de chaque concept juridique et ne prennent pas en compte les nuances et les spécificités de chaque domaine devant concourir à l’optimisation des lois. Ce qui entraine des lois imprécises et ambigües, menant notamment à des incohérences entre différentes lois et à une difficulté pour les citoyens et les professionnels du droit à comprendre et à se conformer aux réglementations.

Par ailleurs, les institutions ne sont pas conscientes des véritables exigences de l’élaboration des lois, avec pour conséquence un manque de consultation et de participation des parties prenantes pertinentes. Ce qui n’exclut pas d’avoir des lois ne répondant pas véritablement aux problèmes du quotidien et aux attentes de la société.

Enfin, il n’est pas rare d’assister à une surcharge normative ou une avalanche des lois plutôt au niveau national que provincial, avec pour conséquence notamment « les lois inutiles affaiblissant les lois nécessaires »50. Ce qui alourdit le système juridique et rend la mise en œuvre des lois encore plus complexe. Cela entraîne forcement une confusion pour les citoyens et les professionnels du droit. C’est en ce sens que Jean-Jacques Rousseau, écrivit :

« la multitude des lois annonce deux choses également dangereuses et qui marchent presque toujours ensemble : savoir, que les lois sont mauvaises et qu’elles sont sans vigueur »51.

Il est donc crucial pour les institutions de prendre conscience des vrais contours de l’élaboration des lois et de leur qualité pour garantir une législation claire, cohérente et adaptée aux besoins de la société. Cela peut se faire en renforçant les capacités législatives, en favorisant la consultation et la participation des parties prenantes, et en veillant à ce que la légistique soit une priorité dans les processus d’élaboration des lois.

B.     Impératif d’autres protagonistes pour l’amélioration de la qualité des lois

Comme nous l’avons rappelé, naturellement les parlements, en tant que représentants démocratiques et légitimes des peuples, doivent initier, amender et voter des lois, et les gouvernements, en tant qu’émanation de ces derniers, doivent initier des programmes d’action du gouvernement et davantage des projets de loi. Ils sont à cet effet les premiers récipiendaires de la légistique. Cependant, ils doivent êtres secondés par d’autres protagonistes qui doivent aussi se familiariser à la légistique. Voilà ce qui va améliorer les lois et les politiques publiques.

Ces protagonistes peuvent être des experts juridiques, des universitaires, des spécialistes des politiques publiques et d’autres parties prenantes intéressées.

Ces acteurs supplémentaires peuvent apporter une expertise approfondie dans des domaines spécifiques et fournir des contributions précieuses dans l’élaboration des lois. Ils peuvent aider à la rédaction des projets et propositions de lois, au signalement des lacunes ou des contradictions potentielles, et à l’évaluation de l’impact des lois proposées sur la société dans son ensemble.

En intégrant ces protagonistes à la légistique, les parlements et les gouvernements peuvent

bénéficier d’une perspective plus large et d’une expertise complémentaire.

  • Charles Montesquieu, De l’esprit des lois, 1758.
  • Jean-Jacques Rousseau, Des Lois, Fragments politiques, 1762.

Cela permet d’améliorer la qualité des lois, d’identifier les éventuelles conséquences imprévues et de favoriser l’adoption de réglementations plus efficaces et équitables.

En effet, les acteurs externes peuvent apporter de nouvelles idées, des perspectives alternatives et des innovations dans le processus législatif. Cela encourage une approche plus dynamique et réactive dans l’élaboration des lois, en permettant d’intégrer les meilleures pratiques et d’explorer de nouvelles solutions pour répondre aux défis émergents de la société.

Cela contribuera, également, à renforcer la cohérence et la clarté de la législation, évitant ainsi

des interprétations ambiguës ou des conflits entre les différentes lois.

Qui plus est, les parties prenantes externes peuvent également contribuer à l’évaluation de la mise en œuvre et de l’impact des lois proposées. Aussi, l’implication des autres protagonistes dans la légistique ajoute-t-elle une dimension de transparence et de légitimité au processus d’élaboration des lois. Cela renforce la confiance de la société dans le système juridique, en permettant une participation plus large et une meilleure représentativité des recommandations et des préoccupations des parties prenantes.

En somme, la démocratisation de la légistique assortie de l’implication de protagonistes supplémentaires dans la légistique permet d’améliorer la qualité des lois, de renforcer leur cohérence, de favoriser une meilleure prise en compte des impacts et de promouvoir la transparence et la légitimité du processus d’élaboration des lois. Ce qui contribue à une optimale mise en œuvre des lois, une plus grande confiance dans le système juridique et des réglementations plus efficaces et équitables pour la société dans son ensemble.

C.     Des directives d’amélioration de la qualité des lois et de démocratisation de la légistique

Afin de procéder à l’amélioration de la qualité des lois et de démocratisation de la légistique en République Démocratique du Congo, quelques directives sont proposées dans les lignes suivantes.

  1. Directives d’amélioration de la qualité des lois

Rappelons encore que l’utilisation de la légistique ne se limite pas seulement aux aspects juridiques et rédactionnels, mais qu’elle doit également prendre en compte les aspects factuels pour garantir une mise en œuvre efficace des lois. Pour améliorer la qualité des lois et leur mise en œuvre, voici quelques suggestions :

  • Collaboration interdisciplinaire : Encourager l’implication d’experts provenant de différents domaines pertinents dans le processus législatif. Les spécialistes des politiques publiques, des sciences sociales, de l’économie et d’autres disciplines peuvent apporter leur expertise pour évaluer les impacts potentiels d’une loi et identifier les éventuels limites et obstacles à sa mise en œuvre ;
  • Évaluation ex ante des impacts : Introduire une évaluation obligatoire des impacts législatifs, qui permet d’analyser les conséquences éventuelles et potentielles d’une loi sur différents aspects de la société, tels que l’économie, l’environnement ou la justice sociale. Cela permet de prendre des décisions éclairées et de proposer des améliorations lorsque nécessaire ;
  • Consultation citoyenne : Intégrer activement la voix des citoyens lors de l’élaboration des lois et de leur mise en œuvre. Organiser des consultations publiques, des sondages ou des débats en ligne peut permettre de recueillir les commentaires et les préoccupations des citoyens, ce qui contribue à créer des lois plus adaptées aux besoins de la population ;
  • Formation et sensibilisation : Mettre en place des programmes de formation sur la mise en œuvre des lois pour les responsables gouvernementaux, les fonctionnaires et les agents d’exécution. Ces formations peuvent porter sur les aspects procéduraux, les compétences de gestion nécessaires et les meilleures pratiques pour garantir une mise en œuvre efficace ;
  • Suivi et évaluation ‘in itinere’ ou ‘ex post’ : Établir des mécanismes de suivi et d’évaluation réguliers des lois en vigueur afin d’identifier les problèmes potentiels et de prendre les mesures correctives nécessaires. Cela permet de s’assurer que les lois sont appliquées de manière adéquate et de mesurer leur impact réel sur la société.

En combinant ces approches, il est possible d’améliorer la qualité des lois et leur mise en œuvre. Il est important de promouvoir une culture de l’évaluation et de la mise à jour constantes afin de s’assurer que les lois reflètent les réalités changeantes de la société et qu’elles sont efficaces dans la résolution des problèmes auxquels elles sont destinées.

  • Mécanismes de démocratisation de la démarche légistique

Nous avons, certes, concédé que les deux institutions classiques, sous leurs régimes tantôt de séparation des pouvoirs tantôt de collaboration, sont les premiers destinataires de la démarche légistique. Mais contribuer à l’élaboration et surtout à la mise en œuvre des lois passe également ou indirectement par d’autres protagonistes. Ce qui n’implique pas forcement qu’on doit arracher au parlement ou au gouvernement leurs compétences traditionnelles de conception ou de rédaction de la loi, mais plutôt associer les autres acteurs, sans, toutefois, s’abstenir de les outiller en légisprudence. Ce qui présuppose forcement la démocratisation de cette démarche.

Ainsi, dans le but d’asseoir des principes susceptibles de contribuer à l’amélioration de la qualité de la loi, c’est à dire de sa genèse, en passant de l’écriture jusqu’à la mise en œuvre, que nous proposons des mécanismes de la démocratisation de la légistique en République Démocratique du Congo. En effet, selon la doctrine, la démocratisation de la légistique passe notamment par les mécanismes impérieux et permanents suivants que nous pouvons relever à grands traits :

  • la systématisation de la formation en légistique. On organisera des cours de formation, non seulement à l’attention des membres du parlement et du gouvernement, mais aussi des organismes privés et de la société civile notamment, dans le souci de contribuer à atteindre les trois objectifs suivants: informer en permanence des questions fondamentales de nature interdisciplinaire en rapport avec la législation nationale qui se poseront à tel ou tel moment, enseigner des méthodes de travail servant à l’activité législative (y compris à l’évaluation de la législation) et définir des normes de qualité ;
  • les Guides de législation. Nous encourageons les institutions ou les universités du pays à élaborer chacune à sa manière un module de base de Guide de législation qui servira de fil d’Ariane tout au long du processus législatif;
  • les recherches et les fora sur la législation. Il est intéressant que les institutions décident de la création d’un forum de législation qui permettra autant au gouvernement qu’au parlement de collaborer avec des personnes ressources et de s’appuyer sur un réseau regroupant les personnes chargées des tâches légistiques. Le forum sera conçu pour garantir une conception optimale de la loi, un agencement adéquat avec la politique publique qui la sous-tend, sa meilleure écriture ainsi que sa mise en œuvre conséquente. Il veillera en d’autres termes à la qualité de la législation nationale et, au besoin, pour sa correction et son amélioration. Les fora favoriseront en outre l’échange d’expériences entre les services chargés de tâches légistiques. Ils assureront aussi une meilleure mise en réseau des personnes concernées pour améliorer la coordination et l’assistance mutuelle ;
  • le renforcement des commissions de rédaction. Outre-les fora, certaines activités de renforcement de capacité des commissions de rédaction seront nécessaires. Cela est important autant pour le gouvernement que pour le parlement. Nous suggérons à cet effet des moyens de communication accessibles pour expliquer de manière simple et concise le rôle et l’importance de la légistique. Des infographies, des vidéos explicatives ou même des conférences pourraient aider à sensibiliser le public. Aussi, est-il indiqué d’organiser des sessions de formation destinées aux fonctionnaires travaillant dans les commissions de rédaction. Ces sessions pourraient aborder des sujets tels que les meilleures pratiques en matière de législation, la simplification du langage juridique complexe, et la prise en compte des besoins et des préoccupations des citoyens. Nous encourageons également les échanges avec d’autres pays ou organismes spécialisés dans la légistique pour partager les meilleures pratiques et les leçons apprises. Cela peut contribuer à renforcer les commissions de rédaction en s’inspirant des approches réussies ailleurs ;
  • l’évaluation des politiques publiques et des législations y relatives. On veillera, dans le cadre de l’accompagnement légistique, à ce que l’élaboration des projets et propositions des lois se fasse au moyen de la démarche évaluative ex ante et ex post. Celle-ci sera une aide non négligeable d’appréciation de la mise en œuvre des lois, des questions fondamentales et des variantes par rapport à leurs avantages et à leurs inconvénients (instruments de réglementation, degré auquel il y a lieu de légiférer, densité normative, etc.).

D.    Impératif de recourir aux organismes participatifs et pluralistes

La démocratisation de la légistique requiert également que des Organisations de la Société Civile contribuent à l’amélioration de la qualité de la loi. Car, la Constitution encourage les pouvoirs publics à collaborer avec les associations qui contribuent au développement social, économique, intellectuel, moral et spirituel des populations et à l’éducation des citoyennes et des citoyens52. Cet impératif rejoint bien l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme qui stipule que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux- mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». « Dans ce contexte de la démocratie représentative, c›est donc une invitation à l›extension de l›évaluation à la sphère parlementaire, même si elle doit être distinguée du contrôle traditionnel »53.

Des telles dispositions fondent l’engagement des Organisations de la Société civile sur la gestion publique. Cet engagement se justifie notamment par l’essor de la gestion publique basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la redevabilité, la responsabilisation et la participation citoyenne, aux côtés des systèmes représentatifs traditionnels. Il s’agit là d’une tendance actuelle. Cette tendance est également le fruit d’un consensus international sur la nécessité d’améliorer la compréhension de la qualité de la gouvernance dans un pays, envisagée comme une condition cruciale pour la réalisation des instruments internationaux, en général, et la réduction de la pauvreté et des inégalités, en particulier.

C’est à ce titre que l’usage de la légistique en général et de l’évaluation de l’action publique en particulier représente, pour les Organisations de la société civile, un outil essentiel dans le diagnostic des insuffisances en matière des lois et des instruments

            internationaux.

  • Article 37 alinéa 2 de la Constitution de 2006
  • Flückiger, op.cit, p. 555.

Ces Organisations doivent s’y mettre pour pousser les populations à quitter leur ignorance ainsi qu’à comprendre la chaîne des causes, c’est-à-dire à quoi attribuer les résultats (imputabilité) des décisions publiques et pousser les acteurs publics à l’apprentissage et à l’action. Ces actions se justifient aussi par le fait que ces Organisations regroupent en leur sein les contribuables ou des citoyens confrontées, dans leur exercice, à des problèmes qui exigent d’être analysés et mis sur la place publique.

Un autre phénomène non moins important, qui explique l’implication des Organisations de la Société Civile dans l’action publique et spécialement dans l’usage des outils de la légistique, résulte des divers instruments de suivi et des mécanismes de conformité exigés par des structures sous-régionales et régionales. Ces mécanismes voudraient notamment que la Société civile joue un rôle clé, voire de premier plan dans les évaluations des politiques publiques en vue, non seulement de donner un point de vue contraire à celui émanant des officiels d’un État, mais surtout d’en donner les caractères légitimes et représentatifs et d’influencer leur mise en œuvre.

C’est en ce sens qu’il serait opportun de faire un pas supplémentaire et réfléchir à de nouvelles modalités d’évaluation, plus participatives, plus pluralistes, plus inclusives, représentant l’éventail de toutes les personnes possiblement concernées, et ainsi plus ouvertes à la diversité d’une société pluraliste et véritablement démocratique. L’évaluation pluraliste et participative permet de prévenir le grief pyramidal et technocratique en replaçant les citoyens et les citoyennes, de même que les parties prenantes, au cœur du processus évaluatif54. Mais attention, une telle aventure n’est pas gagnée d’avance et présente des risques de voir les membres des Organisations de la Société Civile devenir des donneurs des leçons des gouvernants.

Ainsi pour que de telles évaluations récoltent de succès, il n’est pas moins indiqué de les combiner intelligemment à l’organisation d’un débat public sous forme d’états généraux ou des tables rondes, des colloques. Les états généraux réunissent des conférences de citoyens représentatifs de la société dans sa diversité qui, après une formation préalable, débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. A la suite de ce débat public, les conférenciers de ces tables rondes ou états généraux établissent un rapport à destination des institutions nationales ou même internationales. Les procédures de consultation du public, la mise en œuvre des droits fondamentaux, les thématiques pourraient également servir de cadre pour intégrer de manière plus coordonnée les avis produits par ces divers organismes spécialisés.

E.      Option des plates-formes extérieures au parlement ou au gouvernement

On peut aussi avoir le courage d’opter pour ce modèle qui propose des organisations ou des plates-formes extérieures au parlement ou au gouvernement ayant pour mission d’aider à l’amélioration de la qualité des lois et des politiques publiques. En effet, « contrariés par le politique qui ne tiendrait pas sufisamment compte des données scientifiques, certains auteurs ont proposé de compléter l’architecture des pouvoirs par une chambre de conseil supplémentaire, non élue, composée d’experts, éventuellement de citoyens et de citoyennes désignées par tirage au sort »55 afin de contribuer à l’amélioration par exemple la qualité de la loi ou de la décision publique.

  • Flückiger, op.cit., p. 142.
  • Flückiger A., (Re)faire la loi : traité de légistique à l’ère du droit souple. Berne : Stämpfli, 2019, p.234.

On admettra, toutefois, avec Vincent Martenet « que la création d’une chambre supplémentaire non élue est justifiée à condition qu’elle n’ait que des compétences consultatives, et non de veto ».56 « En pratique, d’autres organismes, plus modestes, ont été instaurés au sein des parlements ou des gouvernements, ou à l’extérieur, pour seconder les autorités dans leurs fonctions législatives à l’instar de commissions spécialisées ou d’instances de conseil indépendantes en matière scientifique ou technologique, notamment chargées de l’évaluation des choix de société qu’il conviendrait de faire en la matière. »57 On citera par exemple la Commission permanente pour l’énergie et l’environnement du Parlement de Norvège, le Conseil scientifique pour la politique publique aux Pays-Bas58, la proposition de créer des observatoires sociologiques indépendants propres à accompagner le processus législatif sans être les otages des instances politiques , la Fondation pour l’évaluation des choix technologiques (TA-SWISS) en Suisse ou l’Ofice parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en France59.

On trouve également des structures de réflexion ad hoc consacrées à une thématique spécifique, dont certaines comprennent une véritable composante de participation citoyenne à l’exemple des grenelles ou des états généraux en France, définis comme « un dispositif participatif qui consiste à réunir ponctuellement, autour d’un sujet donné, les organisations de la société civile concernées, afin qu’elles puissent en débattre et soumettre à la puissance publique leurs réflexions et propositions. »60 En 2007, le Grenelle de l’environnement, qui s’est traduit par « un immense programme législatif », a pu être qualifié par un rapport d’évaluation paru en 2010 de « monument législatif et réglementaire », ayant abouti à 450 articles de loi et 70 dispositions fiscales61. Certains états généraux ont pu être pérennisés en organes spécialisés, intégrés dans des processus d’évaluation62.

Nous ne pouvons, en effet, pas finir ce point ou entamer la conclusion sans faire écho d’une expérience du Canton de Genève tant enrichissante qu’il ne serait pas mal de « tropicaliser ». Il s’agit de la Commission externe d’évaluation des politiques publiques (CEPP)63 ayant pour compétences de mettre en évidence et apprécier les effets des lois cantonales genevoises, l’organisation des services en au regard de leurs buts et le rapport coût/utilité des prestations et des dépenses publiques. Cette commission d’évaluation travaillait sur mandat du Conseil d’État, du Grand Conseil ou sur sa propre initiative. Composée de 16 membres, ladite commission était chargée de proposer des solutions visant à rendre l’action de l’État de Genève plus efficace.

  • Flückiger, A., Idem. Berne : Stämpfli, 2019, p.603.
  • Flückiger, A., Ibidem. Berne : Stämpfli, 2019,p.603
  • Flückiger, A., op.cit. Berne : Stämpfli, 2019,p.134
  • Flückiger, A., Idem. Berne : Stämpfli, 2019,, p.134
  • Flückiger, A., Ibidem. Berne : Stämpfli, 2019, P.134
  • Flückiger, A., op.cit. Berne : Stämpfli, 2019,, p.135.
  • Flückiger, A., Idem. Berne : Stämpfli, 2019, P.135.
  • Des activités de cette instance ont été transférées à la Cour des comptes depuis le 1er juillet 2013.

Conclusion

Nous avons, tout au long de la présente contribution montré, que la légistique, qui est usitée de plus en plus dans son sens étroit, tend à être davantage présente dans les assemblées délibérantes de la République Démocratique du Congo. Ce qui n’est pas le cas pour les autres institutions évoquées. Nous avons ainsi montré qu’au lieu que cette situation soit un désavantage, elle peut, au contraire, être vue comme une opportunité pour élargir de façon idoine son champ ainsi que promouvoir son utilisation, également au niveau du gouvernement, des universités et des organisations de la Société civile.

Il a été à cet effet, tout d’abord question de dépasser les limites de la légistique basée sur la perspective dogmatique et d’un certain belgicisme hantant les assemblées délibérantes de la République Démocratique du Congo. Il s’est agi d’aller au-delà des aspectes juridico- rédactionnels de la loi ainsi que d’élargir les horizons et d’explorer de nouvelles perspectives liées aux aspects factuels.

Nous avons ensuite plaidé pour que soit amorcé systématiquement des mécanismes de démocratisation de la légistique visant à familiariser, non seulement les membres des assemblées délibérantes et des gouvernements, mais surtout les groupes thématiques des organisations de la société civile, des parties prenantes dans la confection de la loi et autres universitaires. Car toute organisation intervenante directement ou indirectement dans l’élaboration des lois et des politiques publiques est compétente pour concevoir, rédiger ou évaluer ces dernières, sous réserve, certes, que c’est au parlement ou gouvernement que ’il revient la légitimité d’endossement, d’amendement ou de vote.

En somme, cette contribution plaide pour que la démarche légistique soit évoquée en République Démocratique du Congo, plutôt dans son sens large plutôt qu’étroite et qu’elle soit démocratisée de sorte que tous les protagonistes, non seulement les membres des parlements et des gouvernements, soient impliqués dès la genèse, en passant par la rédaction, jusqu’la mise en œuvre et l’évaluation des lois. Ce qui aura pour mérite d’amener la légistique à avoir la capacité de répondre aux problèmes que suscitent les lois et d’optimiser les interventions publiques y afférentes.

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